Violences et insécurité - Fantasmes et réalités dans le débat français

Laurent MUCCHIELLI, La Découverte, 2001, 142 p.

Depuis une dizaine d’années, incivilités et violences urbaines sont devenus des thèmes à la mode. Nous assisterions à une montée inexorable de la délinquance et de l’insécurité. Ce discours est-il étayé sur des faits réels ? Ou bien s’agit-il plutôt de la reprise de stéréotypes éculés pour dissimuler notre désarroi face aux comportements d’une jeunesse qu’on n’arrive plus à comprendre ? Il y a d’abord des experts de la délinquance qui s’avèrent être soit des acteurs engagés politiquement (tel ce syndicat des commissaires de police chantre de la tolérance zéro) soit de pseudo-spécialistes qui publient des ouvrages alarmistes tout en faisant fortune dans le business de la sécurité !  Il y a ensuite ces chiffres qui sont brandis avec d’autant plus d’assurance que les statistiques exercent une sorte d’autorité intellectuelle évidente. 30% d’étrangers dans les prisons ? Si on enlève les personnes incarcérées pour infraction à la législation sur les étrangers (qui constituent plus une infraction administrative qu’une véritable délinquance), on arrive au taux de 13 %. Proportion croissante des mineurs sur l’ensemble des mis en cause ? Si l’on tient compte de la dépénalisation des chèques sans provision (qui a fait sortir nombre d’adultes des statistiques judiciaires) et la part croissante des interpellations pour usage de drogue (2.000 au début des années 70, 70.000, actuellement), on peut relativiser cette montée en puissance. La violence à l’école dont seraient victimes les profs ? Les chiffres de l’année 1998-1999 laissent apparaître 40 cas d’agression physique (les 86% autres victimes étant des élèves). 40 situations inadmissibles certes, mais rarissimes au vu des 5,5  millions d’élèves et des 500.000 fonctionnaires en exercice dans l’Education nationale ! Parallèlement, si l’on comptabilise les homicides (et tentatives), les coups et blessures ayant entraîné la mort, ainsi que les infanticides, on est passé d’un fait pour 24.701 habitants en 1972 à un fait pour 25.257 habitants en 1998, soit une légère régression ! Il ne s’agit pas ici de crier à la désinformation : oui les coups et blessures augmentent, oui la dégradation des biens publics et privés s’accroît, oui les vols et cambriolages se développent... Mais dans le même temps, la sensibilité au sentiment d’insécurité s’est aussi renforcé. A l’image de l’explosion des affaires de maltraitance, plus liée à leur dénonciation plus fréquente qu’à leur multiplication. Et puis les mutations ont été profondes. D’une communauté villageoise  qui assurait son autorégulation, on est passé à une société urbaine marquée par une architecture rendant à la fois difficile la surveillance parentale et à la fois visible une jeunesse pléthorique trop souvent condamnée à l’inexistence sociale et un avenir en forme d’impasse. C’est dans cette direction, aussi, qu’il faut peut-être chercher des solutions.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°610 ■ 21/02/2002