De l’affrontement à l’esquive - Violences, délinquances et usages de drogue

Hugues LAGRANGE, Syros, 2001, 300 p.

En se focalisant sur la délinquance et la violence, on omet trop souvent de s’interroger sur ce qui les motive et en quoi elles peuvent apporter des réponses aux questions que notre société a refusé de se poser. Jusqu’aux années 80, la délinquance des jeunes ne touchait pas particulièrement les cités HLM  (75% des auteurs habitaient alors en pavillon). Elle était répartie sur l’ensemble des couches sociales (15% des délinquants étaient issus des classes moyennes et supérieurs qui constituaient alors 24% de la population, 52% étaient issus des milieux ouvriers qui représentaient 48% de la population). La délinquance était d’ordre acquisitif (les vols passent de 4,5 pour 1000 personnes en 1945 à 23,5% en 1975), sorte de taxe sur la prospérité. Et puis, quelque chose s’est mis à changer : les violences collectives se sont accrues et étendues à un nombre toujours plus important de quartiers pauvres. Quant aux vols et cambriolages, ils se sont surtout multipliés dans les quartiers les plus aisés. La gauche y a vu le résultat de l’enclavement (d’où la politique de la ville) et d’un déficit en matière éducatif (d’où la démocratisation de l’école). La droite, quant à elle, y voit le résultat d’un déficit policier et judiciaire et de l’affaiblissement de l’autorité (d’où une politique répressive). En fait, pour l’auteur, on est passé d’une délinquance d’opportunité (la prolifération de biens de consommation incitant au vol) à une délinquance d’exclusion. Mais sans qu’on puisse la relier à des motivations exclusivement utilitaires. Il y a bien sûr ceux qui font du bizness la source première de leur revenus. Mais ces pratiques illégales alimentent bien plus un déficit d’être qu’un déficit d’avoir. Les quartiers méprisés retournent leur rancœur en violence, les jeunes trouvant ce moyen pour inverser les stéréotypes qui les donnent pour perdants. On trouve chez eux des attitudes centrées sur le respect, la réputation personnelle et un grand besoin de reconnaissance. Ces conduites rebelles expriment leurs espérances déçues, la difficile voire improbable réalisation de l’aspiration à des activités valorisées. Une des sources de la violence est donc une demande de reconnaissance de cette souffrance. Dans les années 60, les jeunes trouvaient une issue positive dans une mobilité sociale ascendante. Aujourd’hui, aux termes d’une récession longue, l’accès à une place symbolique est malaisé, situation encore compliquée par la ségrégation spatiale qui a enfermé toute une population dans les quartiers pauvres. Les conduites des jeunes des cités ne sont pas dues à une désaffiliation, mais au contraire à une suraffiliation dans un espace en rupture avec le reste de la société. Si la délinquance des jeunes était liée au XIXème siècle à leur errance et vagabondage, paradoxalement, elle se rattache, de nos jours, à la clôture des cités sur elles-mêmes.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°633 ■ 12/09/2002