Idées reçues sur les SDF

BESOZZI Thibaud, Éd. Le Cavalier Bleu, 2020, 147 p.

Thibaud Besozzi dresse ici un état des lieux très précis sur la question sdf, tout en déconstruisant les fausses évidences. Au premier rang desquelles, l’image du clodo aviné, insultant les passants. La classification qu’il propose démontre combien cette population s’avère au final très hétérogène. Il distingue ainsi les jeunes en errance des zonards revendiquant un mode de vie alternatif, les routards s’inscrivant dans une mobilité chronique des stabilisés durablement hébergés chez des proches ou en établissement, les ponctuels arrivés récemment pouvant s’en sortir rapidement des clochards installés depuis longtemps dans cette situation, sans oublier les « psys » non pris en charge dans les hôpitaux. Autre confusion déconstruite ici, celle mélangeant sans domicile et sans-abri. Si 10% des sdf dorment dans des conditions extrêmement précaires, 90 % sont accueillis dans des centres ouverts toute la journée ou seulement la nuit. Si l’on considère le continuum des situations individuelles qui vont de la moins favorable (vivre à la rue) à la plus intégrée (bénéficier d’un logement adapté), on mesure donc la diversité du degré d’habitabilité, d’(in)sécurité et d’(in)confort vécu. Autre idée reçue encore, les circonstances de la chute qui ne sont pas aussi linéaires et progressives qu’on l’imagine souvent, puisque 43 % des sdf n’ont jamais disposé de logement indépendant. La notion d’exclusion est là aussi remise en cause, en ce qu’elle donne une représentation faussée d’une socialisation qui, pour être effectivement éloignée des normes et pratiques dominantes, est tout à fait intégrée à la marge sociale. Il est aussi fréquent de prétendre que tout le monde pourrait vivre un accident de la vie le menant à la rue. En réalité, les ressources composées des capitaux scolaires, culturels, économiques, sociaux et symboliques constituent autant de facteurs fragilisant ou protecteurs. Il en va de même pour la délinquance qui n’est pas forcément plus fréquente chez les sdf, sauf celle permettant la survie ou propre à la pénalisation de l’errance. Conclusion : le système assistanciel continuera à se montrer inefficace, tant qu’il imposera des normes temporalisées et contractualisées inaccessibles à certaines franges de sdf, qu’il n’intègrera pas l’attractivité du monde de la rue et de ses valeurs de liberté, d’indépendance et de débrouille et n’appliquera pas vraiment l’inconditionnalité. 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1282 ■ 27/10/2020