Où va l’argent des pauvres ?
COLOMBI Denis, Éd. Payot, 2019, (349 p.)
Tout le monde a un avis sur ce que devraient faire les pauvres avec leur argent, surtout ceux qui ne l’ont jamais été ! Certains les excusent, par misérabilisme, en faisant l’éloge de leurs mérites face à l’adversité. D’autres les condamnent, par populisme, en stigmatisant leur mauvaise utilisation des leurs aides. Et si on les regardait tels qu’ils sont. Ce que nous propose justement Denis Colombi qui déconstruit le mythe d’une incapacité à gérer ses ressources, d’une vie menée au-dessus de ses moyens et de l’absence d’efforts conduisant à l’oisiveté. Pourtant, il faut s’avérer être un gestionnaire hors pair pour survivre avec si peu de moyens, apprendre à hiérarchiser ses dépenses pour privilégier l’indispensable, jongler avec son budget face à une pénurie permanente. C’est privilégier les factures aux prélèvements (pour leur souplesse), les espèces aux chèques (pour savoir combien il reste), l’achat en gros pour le mois plutôt que les courses successives (pour accumuler la nourriture). C’est préférer conserves, pâtes et pommes de terre plutôt que des fruits et légumes frais, de la viande ou du poisson. C’est scruter les bons d’achat, les promotions et les soldes pour bénéficier de la moindre bonne affaire. Car, la peur du manque étant structurante, le moindre petit écart, accident ou variation confrontent à l’impossible. L’épargne populaire se traduit sous forme de stocks. Les placards et le congélateur pleins ont une fonction symbolique de réassurance. Non, décidément, les pauvres ne sont pas plus incompétents que le reste de la population. Quand ils gagnent au loto, ils gèrent très bien leurs nouvelles ressources, sans étaler des dépense ostentatoires ou excessives. Ils connaissent la valeur de l’argent. En fait, ils sont comme les autres, l’argent en moins : mêmes désirs, mêmes ambitions, mêmes erreurs de gestion, ni plus justes, ni moins humains. Leur problème ne tient pas dans une quelconque défaillance de moralité, mais dans ces représentations qui les stigmatisent, les rabaissent et les humilient. La pauvreté n’est pas un problème économique, mais politique, interrogeant la répartition des richesses. Si elle persiste, c’est parce qu’elle profite à d’autres. Leur fournir des ressources, c’est leur donner les moyens de s’en sortir. Comme le montrent les transferts sociaux qui limitent à 6,8% la population en dessous du seuil de pauvreté (contre 10,9 % en moyenne Européenne).
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1292 ■ 30/03/2021