Le voyage de l’humanité
GALOR Oded, Éd. Denoël, 2022, 309 p.
Depuis 300 000 ans, l’homo sapiens, a surtout existé dans une économie de survie. Malgré le passage du nomadisme à la sédentarité, il n’a jamais réussi à sortir du dénuement. Le concept de « trappe à pauvreté » de Malthus l’explique bien : toute augmentation de la production, se traduisant par un surplus de nourriture, était absorbée par une hausse du taux de natalité, les nouveaux venus consommant les excédents obtenus. Pourtant, ce cercle vicieux s’est interrompu, quand l’agriculteur analphabète et pauvre, abruti par le labeur et affamé laissa la place à un monde où l’espérance de vie s’est considérablement allongée, où la nourriture est opulente et les salaires plus élevés, où l’accès aux loisirs et aux biens culturels est bien plus généreux. Que s’est-il donc passé ? C’est à cette énigme que se propose de répondre Oded Galor. Il relie cette véritable explosion des richesses à toute une série de boucles de rétroaction. C’est le perfectionnement du capital humain qui est à l’origine du progrès technique. L’amélioration de la productivité qui s’en est suivie n’a pu advenir qu’avec l’augmentation de l’instruction (le taux d’alphabétisation dans le monde a progressé passant de 12% en 1820 à 50% en 1950 et 86% aujourd’hui). L’instruction n’a pu se développer qu’avec la transition démographique, les parents investissant d’autant plus dans les études de leur progéniture que celle-ci était moins nombreuse (le taux de fécondité dans le monde a été divisé par deux entre 1970 à 2016 : 5 enfants par femme à 2,4). Et les parents ont réduit la taille de leur famille parce que leurs revenus avaient augmenté (en deux cent ans, si la population mondiale a été multipliée par sept, les revenus par tête l’ont été par quatorze). Salaires plus élevés grâce à une meilleure qualification. Pour autant, ce bon du niveau de vie n’a pas profité à tout le monde. Bien sûr, l’accessibilité à la mer, la disponibilité des ressources naturelles ou la connectivité géographique favorable à l’extension du commerce, la culture du risque ou une mentalité ouverte sur le futur expliquent pour partie les inégalités entre les régions du monde. L’action prédatrice de la colonisation et les effets asymétriques de la mondialisation les ont grandement aggravées et amplifiées. Les combattre passe par la promotion de la tolérance, du pluralisme et du respect des différences propices à la fertilisation des esprits et de l’innovation.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1328 ■ 29/11/2022