Le temps des passions tristes
DUBET François, Éd. du Seuil, 2019, 110 p.
La question sociale, qui concentra pendant longtemps la lutte contre les inégalités, semble se dissoudre aujourd’hui dans les catégories de l’identité, du nationalisme et de la peur. Les colères, les ressentiments et les indignations ne portent plus contre un ordre injuste, mais à travers des revendications spécifiques portées par une multitude de catégories aux frontières invisibles mais trop souvent infranchissables : les femmes, les homosexuels, les précaires, les groupes écologistes ou anti-raciste... Des cinq critères initiaux de discrimination possible précisés par la loi, on est passé à dix-neuf. Leur attente ? Le respect dû à leur singularité et à leur dignité : leur salaire est insuffisant, leur mérite et leurs efforts ne sont pas reconnus, leur égalité des chances bafouée, leur mérite ignoré, leur identité sexuée ou genrée déniée… Ce n’est plus un fonctionnement sociétal qui est dénoncé par un mouvement collectif se battant pour une redistribution équitable des revenus, mais les dénonciations d’individus isolés se sentant méprisés, invisibles et jamais considérés à leur vraie valeur. L’expression politique de la conscience de classe se diffracte en une multitude de revendications issues d’épreuves individuelles et de souffrances intimes vécues comme autant de blessures personnelles. Autant de juxtaposition de plaintes se déversant sur les réseaux sociaux et alimentant le populisme.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1328 ■ 29/11/2022