Immigration : fabrique d’un discours de crise
IMBERT Louis, Éd. Amorce 10/18, 2023, 109 p.
A l’heure où les contre-vérités et les mystifications s’accumulent en matière d’immigration, on ne peut qu’accueillir avec intérêt tout ce qui vient contrecarrer ces infox. Le livre de Louis Imbert y parvient avec succès.
D’abord, l’état des lieux. Bien des raisons concourent à l’immigration en un autre pays que celui de sa naissance. Rejoindre un proche, étudier, découvrir une autre culture, fuir une guerre ou des persécutions, trouver un travail ou s’éloigner de la misère vécue …
Le nombre de migrants a augmenté. Ils étaient 272 millions dans le monde en 2019, contre 153 millions en 1990. Cela peut sembler important et ça l’est. Mais cela ne représente que 3,5 % de la population mondiale. Et l’essentiel de ces mouvements de populations se déroule à l’intérieur des mêmes frontières nationales, d’une région nationale à une autre.
Notre pays est bien loin d’être en tête des nations ouvrant leurs frontières. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Les premiers pays d’accueil sont la Turquie (3,7 millions), la Colombie (1,7 millions), le Pakistan (1,4), l’Ouganda (1,4) et l’Allemagne (1,2). Quand il y a franchissement des frontières, ce sont à 86 % les pays dits en voie de développement qui accueillent, contre 14 % dans les pays développés.
Et la France ? Dans l’Union Européenne, elle se situe au 15ème rang en termes de proportion d’étrangers dans sa population. Leur présence représentait 6,6 % de la population nationale en 1931, et 6,82 % en 1980. En 2020, ce chiffre a atteint les 7,2 %. On est loin de la submersion migratoire.
Pour ce qui est du nombre de réfugiés accueillis, il a doublé entre 2010 et 2020. On en compte aujourd’hui 455 295. C’est beaucoup. Mais rapporté aux habitants de notre pays, ce chiffre représente 0,68 % de la population française, soit un rapport de 1 pour 150. Pas étonnant, qu’en 2016, notre pays se soit trouvé au 16ème rang en Europe pour leur accueil !
Il y a toujours eu concomitance entre xénophobie et crise sociale. Louis Imbert identifie trois périodes dans notre histoire marquées par la chasse aux étrangers. A chaque fois des journaux, des intellectuels et des politiciens déploient la même rhétorique les accusant d’être responsables du chômage et/ou de l’insécurité.
La dépression économique de 1880, la crise économique des années trente et celle qui intervient dans les années 1970 coïncident avec les mêmes campagnes xénophobes. L’invasion migratoire désigna un temps le breton, l’auvergnat ou le savoyard. Elle s’en prit dans le dernier quart du 19ème siècle aux Belges et aux Italiens. Puis ce fut le tour des juifs et des réfugiés fuyant le nazisme avant-guerre. Et enfin les immigrés d’Afrique du nord.
A chaque fois, les mêmes expressions sont alors employées, la xénophobie s’articulant au racisme. « Nuées d’étrangers qui s’abattent sur notre pays » (1888). « La vermine qui menace de remplacer la race française » (1927). « Incompatibilité des races quand elles se partagent le même milieu ambiant » (1973). Le fantasme du « grand » remplacement n’est pas nouveau, réapparaissant à chaque fois. Si aucune étude n’a permis d’établir une relation de cause à effet entre la densité d’étrangers et leur rejet ou l’augmentation du chômage, elles démontrent combien cette présence est profitable pour notre pays. Comme durant les « trente glorieuses », au cours de laquelle une telle stigmatisation était inexistante. Peut-être parce que notre pays avait tant besoin des migrants pour (re)construire la France, qu’elle fit appel à eux massivement.
Aujourd’hui, les mêmes fantasmes sont ressassés : « déferlante », « submersion », « corps étranger », « invasions barbares » … Le discours anti-immigrés prospère. Les politiciens de tous bords n’ont pas laissé à Jean-Marie Le Pen le monopole de la xénophobie. C’est François Mitterrand parlant du seuil de tolérance. C’est Michel Rocard affirmant que « la France ne peut accueillir toute la misère du monde ». C’est Jacques Chirac dénonçant « les bruits et les odeurs » des étrangers, etc...
Pourtant, à l’hostilité d’une partie de l’opinion publique s’oppose l’hospitalité de bien d’autres. Accueil, défense et soutien s’organisent au quotidien à l’égard de ces populations qui ont connu les pires épreuves avant de franchir nos frontières. La Colombie l’a bien compris, elle qui accueille les bras ouverts le 1,5 de réfugiés en provenance du Vénézuela. Voilà un pays qui n’est pas envahi par cette panique morale qui désigne comme bouc émissaire un groupe de personnes présenté comme une menace pour la société et ses intérêts.