Contre les barbares
Maurizio Bettini, Ed. Champs actuel, 2020, 164 p.
Il est des comportements dont l’humanisme transcende les époques, les cultures et les coutumes. Celle de l’accueil en fait partie.
Maurizio Bettini nous fait plonger trois milles ans en arrière, en ce temps de bruit et de fureur que fut l’antiquité. Et c’est le poème de Virgile « l’Enéide » écrit plus de 2040 avant le temps présent. Cette épopée décrit le voyage mythique d’Énée, un survivant de la guerre de Troie, censé être à l’origine de la fondation de Rome. Mais, ce n’est pas cette fin que décrit ce livre mais son début.
Fuyant avec sa famille et quelques rescapés le désastre qui ravage son pays d’origine, il réussit à atteindre les rivages de Carthage où ils font naufrage. Ils sont reçus avec la plus grande des hostilités par une population bien décidée à les rejeter à la mer. « Nous ne sommes venus ni pour dévaster par le fer les pénates de Lybiens, ni pour ravir et embarquer vos richesses ; cette violence n’est point dans nos cœurs et tant d’audace sied mal à des vécus » (chant 1, vers 522-529). « Mais quelle est cette race humaine ? Et quel pays si barbare autorise un tel usage ? On nous refuse l’hospitalité du rivage ! On nous déclare la guerre ». Didon princesse phénicienne, fondatrice légendaire et première reine de Carthage, en décidera autrement. Elle-même et son peuple ont été chassés, avant de finir par trouver un havre de paix. Elle porte secours aux infortunés en provenance de Troie, parce qu’elle sait ce qu’est l’infortune. Elle les accueille à égalité de droits !
Comment ne pas faire un parallèle avec 28 000 migrants se noyant en Méditerranée, depuis dix ans, victimes de l’ignorance et des préjugés des pays d’Europe. N’est pas Didon qui veut !
Etudiant les modes de pensée antique, l’auteur considère qu’ils ne sont pas inférieurs aux nôtres. Il ose même un parallèle entre la Déclaration universelle des droits de l’homme signée en 1948 et certaines coutumes en vigueur dans l’antiquité.
Il ne s’agit pas bien-sûr d’évoquer la pratique esclavagiste (que d’ailleurs de l’Eglise chrétienne justifia pleinement en son temps), ni l’oppression des femmes (qui devront attendre le XXème pour commencer à conquérir leurs droits).
Non, ce dont il s’agit, c’est l’obligation coutumière de partager son pain avec celui qui a faim, montrer son chemin à celui qui st perdu, à sauver la vie des naufragés. Et cela bien avant les œuvres de miséricordes préconisées par l’Evangile qui intègrera cet héritage.
Certains, comme Cicéron, célèbre homme d’Etats romain priorisent alors la générosité en la réservant aux membres de leur communauté. Mais bien d’autres, comme le poète latin Terence affirmait : « je suis homme et rien de ce qui m’est humain ne m’est étranger ». Là où nous parlons de droit de l’homme, l’antiquité parlait de devoir.
L’hospitum traditionnel ne relevait pas de ces droits de l’homme contemporains mais de devoirs d’origine divine. Ne pas exercer une telle solidarité et au contraire se montrer cruel était considéré comme une impiété !
Faut-il construire un aqueduc franchissant les rives entre soi et les autres ou bien être un arbre ne se développant qu’à partir de ses seules racines ? Cette question traverse les siècles et se pose avec encore plus d’acuité aujourd’hui.