Le travail de rue
CHOBEAUX François, MARCHAL Jean-Luc et SANTIAGO-SANZ Henri (sous la direction de), Éd. érès, 2024, 272 p.
Peu d’ouvrages récents traitent du travail de rue dans la diversité de ses aspects. Ce livre qui articule témoignages, analyses et méthodologie vient combler ce manque.
La démarche de « l’aller vers » semble être innovante. Depuis quelques années, un millier d’équipes s’est déployée sur tout le territoire pour le mettre en musique. Pourtant que ce soit le SAMU social ou les équipes « mobile psychiatrie-précarités », elles s’inscrivent dans la continuité des origines du travail social. Notamment de ces infirmières visiteuses, précurseures de la profession d’assistant de service social.
Les expériences de terrain décrites ici nous font voyager. On passe du Québec à la Grande Bretagne du Mali au Benin, de la Catalogne à la France. A chaque fois, ce sont des vécus singuliers et des initiatives particulières qui nous sont décrites : maraude en vélo ici, salle de soins mobiles dans un camping-car là, Housing-first ailleurs …
Cette diversité de lieux, pour être à chaque fois spécifiques, n’en partage pas mins traversée plusieurs constantes. Certes, on retrouve les mêmes profils : grande précarité, usagers de drogues, personnes en errance, troubles mentaux. Mais, ce qui domine, ce sont des méthodologies communes.
Quelle que soit l’initiative et ceux qui sont à son origine, on ne se lance pas sans une étude de terrain préalable. Qualifier et quantifier le public à qui l’on va s’adresser. Identifier ses usages en vigueur et les conflits existants qui le traversent. Dresser une cartographie des intervenants sociaux locaux et de leurs réseaux. Repérer les personnes et les institutions ressources sur lesquels s’appuyer.
Une attention particulière est portée à la composition des équipes de terrain. L’âge, le genre, la qualification, mais aussi l’articulation entre les salariés et les bénévoles sont étudiés. Les volontaires ne confrontent pas les professionnels au risque de substitution concurrentielle, mais apportent la précieuse complémentarité d’acteurs venus de la vie civile.
Quant au partenariat, il s’avère incontournable. Pour autant, il doit se montrer avant tout opérationnel, local et ciblé. Il se doit en outre d’être choisi volontairement de part et d’autre et fonctionner sur le principe de la libre adhésion. Précaution incontournable : revisiter régulièrement les modalités d’articulation qui doivent s’adapter aux évolutions de la réalité.
Se libérer des stéréotypes est essentiel. Combattre les préjugés, la stigmatisation et les idées reçues sur la marginalité et l’exclusion n’est pas toujours simple. L’étrangeté de la vie dans la rue échappe parfois à la compréhension et à l’entendement.
Au premier rang du savoir-être attendu s’inscrit le désir de la rencontre. Être vraiment là, tenir sa position, côtoyer le silence avant qu’une parole ne soit prononcée. Composer avec ce qui advient, sans chercher à maitriser l’instant … Autant de prérequis indispensables.
Et puis accepter de se laisser surprendre, voire déstabiliser. Refuser les certitudes, rester ouvert au doute, maintenir le questionnement permanent. Cultiver la curiosité, la créativité et la réflexivité. Accepter de manière inconditionnelle une altérité parfois radicale et repoussante ne l’est pas moins.
Aller sur le terrain de l’autre, c’est s’ajuster à lui. Choisir le moment favorable pour l’aborder. Attendre d’être invité à entrer sur son territoire. S’acculturer à la sociabilité de la rue. Accepter de partager des éprouvés respectifs.
Le respect des choix de l’usager est central. Tous les publics de la rue ne sont pas en mal de toit. Il faut distinguer les sans-abris, des sans-logement, le logement précaire du logement inadéquat. Ne pas lire la dynamique des personnes à travers le filtre des représentations de l’insertion trop souvent présentée comme la seule solution viable.
L’acceptation de l’affiliation de la personne à son groupe d’appartenance est tout aussi indispensable. Aussi pénible et détestable, pathologique, aliénant et enfermant qu’il soit, si c’est celui que la personne a choisi, il faut faire avec.
Ces principes s’appliquent aux intervenants présents dans le travail de rue. Mais, les autres professionnels de l’action sociale s’y retrouveront aisément.