1,2,3… cités

Akim Malouk, Danie Lederman, Ramsay, 1999, 235 p

Avec Akim Malouk, on entre dans une banlieue sans concession. Ici, pas de place ni pour la langue de bois, ni pour les précautions oratoires. Ce témoin de premier plan n’est pas un sociologue immergé dans une population atypique, mais un acteur dont le récit de vie nous plonge dans une réalité brutale et crue. Beur de la seconde génération, impliqué très jeune dans le business qui l’amènera à passer quelques mois en prison, l’auteur parle de ce qu’il vit, et c’est là, toute la force de son témoignage. La cité, c’est avant tout un lieu de désespoir explique-t-il. La violence, les trafics à ciel ouvert, les agressions, le vol constituent le quotidien de ceux  qui « veulent niquer la vie avant qu’elle ne les nique » (p.185). Cette désespérance ne tombe pas du ciel. L’immigration voulue par la société française dans une période de besoin de main d’œuvre. Les pères usés et épuisés après des années de travail ont été rejetés dans un chômage chronique qui nourrit comme seuls sentiments la rancune, l’amertume et la honte. Les fils ont hérité  de cette humiliation et l’ont transformée en haine, haine entretenue au quotidien par les marques quotidiennes de racisme. Hostilité de la police championne du contrôle au faciès, méfiance des commerçants qui surveillent de près tout jeune au visage un peu trop mat, rejet de gens ordinaire. La délinquance peut alors apparaître comme un mélange à la fois de vengeance contre une société qui exclue et un moyen de survivre : « parfois lorsque l’huissier vient pour embarquer la télé et le reste, c’est la liasse de billets du fils qui sauve la famille de la honte » (p.76) Les signes de reconnaissance sont visuels : être à la dernière mode, porter des vêtements de marque, voire en changer plusieurs fois dans la journée constituent un signe de pouvoir. Haïr les riches est une constante, mais la cité les déteste autant qu’elle veut leur ressembler. Dans cet univers, la violence est omniprésente : on se bat pour un sourire moqueur, une réputation à défendre, une histoire de fille ou parce que ça passe le temps. Celui qui refuse de se battre passe pour un bouffon. « Une histoire d’amour serait sans doute le plus sûr moyen pour les paumés des banlieues de retrouver la force de vivre » (p.199) Mais il n’y a pas de respect pour les filles pas de fidélité ni de sincérité de la part de jeunes qui conçoivent leurs relations affectives comme le reste de leur vie : profiter avant de jeter !

A partir de ce tableau des plus sombre, Akim Malouk en appelle à la mobilisation : « Tout  le monde est responsable. Les parents, cassés, qui ne surveillent pas assez leurs enfants. Les enseignants, dépassés, qui n’enseignent que pour les élèves qui suivent. Les médias qui ne pensent qu’à l’audimat. Les religieux, qui n’ont que des arrière-pensées politiques. Les élus, qui ne pensent qu’à se faire réélire… Et nous les jeunes, qui avons un petit pois dans le cigare. Il faudrait que chacun, de la place qu’il occupe, fasse quelque chose. » (p.211)

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°491 ■ 17/06/1999