La crise du droit d’asile

Philippe SEGUR, puf, 1998, 181 p

Le droit d’asile constitue une pratique immémoriale dont la source est à rechercher du côté du sacré. A l’origine, il s’agit bien d’un sanctuaire « voué à la divinité, protégé, fermé, interdit aux profanes et à leurs activités » (p.18). Les rochers sacrificiels, les temples, les églises, les cimetières, les tombeaux ou sépultures des saints ou de certains rois sont devenus ainsi au court des siècles des lieux où étaient prohibée toute violence échappant aux règles et codifications du religieux.
Plus que toute autre, la religion chrétienne va défendre la pratique de l’asile qu’elle met en rapport direct avec le devoir de charité que sa doctrine lui impose : accueillir tout réfugié comme on le ferait du Christ ou de Dieu. Elle va se manifester tant dans le refuge offert que dans l’intercession proposée auprès des autorités judiciaires.
Pour autant, l’asile n’a jamais eu de caractère universel. De nombreuses violations ont été perpétrées tout comme les restrictions adoptées par ses principaux zélateurs. Différentes catégories ont été exclues selon les époques de ce privilège : débiteurs du fisc, juifs poursuivis pour crime ou pour dette, esclaves ... « Les fluctuations furent nombreuses selon les intérêts changeants du pouvoir » (p.47) Ce droit s’éteint progressivement au XV ème siècle, et ce en rapport direct avec le renforcement du pouvoir temporel. Car si « le droit d’asile a été un instrument d’affirmation de la puissance de l’église et de sa capacité à contester, voir à limiter les prérogatives des autorités strictement politiques » (p.53), ces dernières vont tolérer de moins en moins cette contestation de la justice des hommes et cette substitution de souveraineté.
Avec la Révolution, la personne s’impose comme unité de base de l’ordre juridique. Le droit d’asile devient une prérogative de l’Etat dans une perspective de protection des droits de l’homme. La Constitution de 1946 ainsi que celle de 1958 viendront officialiser ce droit. Entre 1951 et 1991, le nombre de réfugiés dans le monde est passé de 1 à 17,5 millions. De 1972 à 1991 le nombre de demande d’asile politique en France est passé de 1.200 à 61.372. Voulant résister à ce flux identifié à celui de l’immigration, l’Etat français freine massivement l’attribution du statut de réfugié (84% de refus en 1995), appliquant le droit d’asile d’une façon discrétionnaire (procédure rapide, modalités confuses, motivations obscures).
C’est dans ce contexte, qu’a été réactivé le droit d’asile religieux (occupation des églises par les sans-papiers). Mais l’Etat ne peut tolérer un droit juridique concurrentiel, « la soustraction d’une fraction de territoire à la souveraineté étatique est désormais impossible à justifier » (p.163) Du droit d’asile de l’église, seul subsiste le pouvoir de pression moral et d’intercession.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°479 ■ 25/03/1999