Accompagner l’enfant trisomique; trisomie 21 et quête d’identité

Denis VAGINAY, 1997, 239 p.

Denis Vaginay nous propose ici un ouvrage à la fois brillant et passionnant qui apporte ce plaisir indicible d’avoir l’impression après avoir refermé la dernière page, d’être devenu plus intelligent. En fait, le lecteur ne fait que s’abreuver aux sources de ce qui relève à la fois d’une étude fondamentale et d’un cheminement essentiel permettant d’accéder aux mystères de la trisomie 21. En pénétrant cet écrit, on peut difficilement s’en détacher. Curiosité,  intérêt intellectuel, soif du savoir conduisent à aller toujours plus loin tout au long des pages afin qu’au travers de l’autre, on puisse mieux se comprendre soi-même, qu’en pénétrant la différence on puisse réinterroger la norme.

La trisomie 21 semble apparaître ex-nihilo en 1846. Aucune trace antérieure ne permet d’en repérer l’existence : la forte  mortalité infantile (espérance de vie limitée à 9 ans jusqu’à 1926), le meurtre d’enfants anormaux par leurs parents ou la non-identification de la dissemblance par les communautés humaines d’alors ont abouti à ce que ce handicap se présente comme une “ invention ” de la société moderne. Identifiée d’abord comme une régression de l’état avancé d’Européens à celui plus archaïque de Mongole, puis comme la conséquence d’une syphilis des parents, la trisomie 21 est diagnostiquée en 1959 comme une aberration chromosomique. Rien ne prédispose à cet engendrement. Si l’âge reste un facteur de risque, 80% des enfants naissant avec cette anomalie ont une mère de moins de 38 ans. Tout être humain en capacité de procréer peut donner vie à un enfant portant ce handicap. On compte un cas de trisomie pour 750 naissances. La désignation de ce déficit marqué par des stigmates physiques mais aussi par une arriération mentale fixant en moyenne l’adulte à un âge mental de 7 ans a fait l’objet de multiples polémiques. Pour les uns, mongolien renvoie à l’étranger monstrueux. Pour les autres, la trisomie réduirait l’être à son affection. Les aménagements fantasmatiques provoqués par cette anomalie ne se sont pas limités aux théories dégénératrices. On compte aussi le mythe de l’enfant merveilleux messager d’un monde perdu avec qui il reste en communion, émissaire de Dieu ou encore résurgence d’ancêtres ataviques resurgissant de la préhistoire. Cet imaginaire vient témoigner de l’axe autour duquel tourne la représentation du handicap, qui débute avec l’impossible reconnaissance de la différence et qui se termine par sa modification voire son idéalisation. Car au début est bien la sidération : “ recevoir l’enfant trisomique, c’est d’abord reconnaître qu’on ne voulait pas de lui ” (p.142) Identifier ce rejet témoigne de l’humanité des sentiments ressentis. Toute absence de réactions dramatiques serait une marque d’insensibilité voire d’inconscience. Et justement, “ ce qui rend coupable, c’est le sentiment de vouloir la mort de l’enfant qui nous renvoie à une image altérée de nous-mêmes ” (p.28) L’annonce du handicap est un terrible temps d’effraction. Mais c’est aussi un processus de réhumanisation de parents frappés au cœur de leur identité. On ne peut ni reporter l’information, ni la confier à un seul des parents (ce qui lui ferait porter seul la charge d’agressivité dévolue à l’annonceur). Les parents dépourvus de points de repère vont alors avoir besoin d’un accompagnement. Car, de la valeur de leur évolution émotionnelle dépendra non seulement l’épanouissement de l’enfant trisomique mais l’équilibre de la fratrie si elle existe. La qualité de la relation est en effet essentielle pour réduire les effets du handicap, mais aussi pour éviter aux frère et sœur de s’inscrire dans une logique de sacrifice. Le réaménagement psychique ainsi provoqué peut alors impliquer un insoupçonnable enrichissement des protagonistes. Mais s’il n’y a de miracle que dans l’éducation, encore faut-il que celle-ci ne devienne pas la seule loi. “ Ni le savoir des uns, ni l’espoir des autres ne peuvent déterminer à tout coup que le projet élaboré pour l’enfant ne se fera pas à son détriment. L’enfant doit s’inscrire comme interlocuteur dans le projet qui le concerne ” (p.156). L’intervention du psychomotricien ou de  l’orthophoniste est bien sûr essentielle pour aider à franchir les deux étapes fondamentales de l’humanisation que sont l’acquisition de la marche et la maîtrise de la parole. Mais il reste un axe fondamental qui est celui de l’éducateur qu’il soit parent ou professionnel et qui sont confrontés à un quotidien déroutant et éreintant. Ils doivent néanmoins retrouver leur spontanéité et fournir une aide et une stimulation qui ne sont guère fondamentalement différentes de celles apportées à tout enfant. Beaucoup de problèmes de comportement de l’enfant trisomique sont finalement liés à l’entourage contre le scepticisme duquel, il doit se battre. Un des tests les plus importants réside bien dans l’apprentissage du non. “ L’enfant souffre déjà de sa trisomie, pense le parent, nous n’allons pas en rajouter en le frustrant ”. Et pourtant : “ l’enfant trisomique a droit comme tout un chacun, à ce qu’on lui fasse violence, en ne lui faisant pas croire qu’il peut tout se permettre, en ne le laissant pas seul face à une pseudo-loi de la nature qui briserait toute humanité ” (p.198).

Par des propos d’une grande pertinence, Denis Vaginay  nous propose une magnifique page d’humanité et une leçon d’humilité.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°443 ■ 12/03/1998