Le polyhandicapé et son soignant - Une aventure partagée

Bernard DUREY, Théétète-éditions (Les Casers, 30700 Saint-Maximin), 1997, 115p

Voilà un opuscule tout à fait remarquable qui comblera tous les lecteurs quelle que soit la place qu’ils occupent. Les familles des personnes polyhandicapées y trouveront une description bouleversante de ce qui peut se dérouler au sein des Maisons d’Accueil Spécialisé, les Foyers Médicalisés et autres Foyers de Vie. Les professionnels de l’éducation spécialisée y verront décliné ce qui constitue le fondement de leur métier: mettre un sens sur les agissements des populations prises en charge. Enfin, l’être humain qui habite tout lecteur découvrira le processus d’humanisation qui est proposé à des sujets extrêmement amoindris. Bernard Durey, psychanalyste de formation, est sollicité, voilà une dizaine d’années, pour intervenir dans l’analyse de pratique de professionnels confrontés aux polyhandicapés du domaine d’Espagnet. Il va travailler à délivrer les intervenants du fantasme de la confrontation à des « morts-vivants ». Parmi les pensionnaires on rencontre Roman, 26 ans, aveugle de naissance, paralysé des membres inférieurs, qui n’a pas le réflexe de la déglutition ni le contrôle des sphincters. Sa souffrance, il l’exprime en se roulant par terre et par des cris et de la violence. On y croise aussi Solange qui ne s’exprime pas et porte ses matières fécales à sa bouche en s’en barbouillant. Il y a aussi Franz, perdu dans son monde (ou dans son vide), absent aux autres comme à lui-même. Il ne tient compte d’aucune contingence et ne voit personne d’autre, son regard passant à travers les gens et les choses. Confrontés à de telles problématiques, le soignant subit de plein fouet la vue, les odeurs, les contacts, les cris. Pour autant quel que soit l’état de la personne, il reste toujours la marge d’un possible. S’il n’y croit pas, il se condamne à l’impuissance. S’il espère de trop, il se prépare à bien des déceptions. L’objectif est d’atténuer la souffrance, de proposer un peu de mieux-être, d’apporter du vivant. C’est dans le désir et la tendresse humanisante du soignant que le polyhandicapé va puiser les ressources pour devenir un peu plus sujet. Bernard Durey nous entraîne dans son travail d’élaboration avec les personnels. Il tente avec eux d’identifier dans les comportements non-verbaux des résidants une intentionnalité. Il s’interroge avec eux sur des pistes possibles à partir de ce que les personnes polyhandicapées donnent à voir. Il n’y a pas de progression sans frustration. Mais, on ne peut être frustré de ce qu’on n’a pas reçu. Il s’agira alors souvent de proposer une imprégnation sensori-affective primaire et d’assurer une continuité par des rythmes réguliers et l’intervention des mêmes soignants comme pour une mère avec son bébé. On favorisera ensuite la défusion par un subtil jeu de présence et d’absence. Il y aura aussi cette conscientisation apaisante du corps par le toucher et le massage.

La lecture de cet ouvrage s’impose vraiment à tous ceux qui souhaitent découvrir ou se confirmer ce qui distingue l’être humain du reste du règne animal.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°400 ■ 29/05/1997