Stériliser le handicap mental?
Nicole DIEDERICH, érès, 1998, 264p.
Voilà un livre essentiel qui mérite d’être largement diffusé. Clair, engagé, convainquant, son argumentation fait mouche. « Une stérilisation, c’est une mort qui n’en finit pas ! On meurt chaque jour, à l’improviste, car c’est une blessure qui ne guérit jamais et qui est ravivée sans cesse par la vie autour de soi. » Ce témoignage d’une victime est saisissante. Elle l’est d’autant plus quand on sait que cette pratique bien qu’illégale touche entre 30 et 50.000 femmes tous les ans ( et quelques centaines d’hommes). La ligature tubaire touche environ 35% de femmes handicapées mentales (contre 7% pour les autres femmes). Cette pratique a été largement encouragée par l’amalgame qui globalise une population pourtant très diversifiée. Alors que la déficience profonde ne concerne que 12,4%, c’est l’ensemble des personnes handicapées mentales qui a été visée par le projet de stérilisation conçue comme « allant de soi ». Une étude a été réalisée sur 225 situations de parents déficients. Deux tiers ont été capables d’élever leurs enfants. Dans deux tiers des cas, le soutien qui leur a été apporté a été suffisant. Concernant les enfants, un tiers présente un avenir rassurant, un tiers rencontre des difficultés sociales légères, les cas sociaux les plus graves ne concernent que le dernier tiers seulement. Cela démontre la nécessité de ramener la question à ses justes proportions et vient contredire les sophismes qui prétendent donner bonne conscience. « Les enfants deviendront eux mêmes des handicapés », « ils seront malheureux », « les parents seront incapables d’élever leurs enfants » constituent autant de généralisations hâtives et de préjugés primaires. Il faut arrêter en matière d’amour ou de procréation d’exiger plus des populations handicapées qu’on en demande de toute autre. Les difficultés prévisibles dans le cas de parents alcooliques ou touchés par la grande pauvreté devraient-elles déboucher, là aussi, sur un projet de stérilisation ? Y a-t-il plus de responsabilité chez des milliers de couples qui procréent chaque année, sans réfléchir aux conséquences ou pour sauver leur relation et qui confrontent l’enfant au drame ne n’avoir pas vraiment été désiré ? On peut comprendre le mécanisme qui amène des parents qui se sentent disqualifiés du fait de la naissance d’un enfant handicapé à vouloir bloquer le processus de transmission. Pour autant, « stériliser une personne sans son consentement pour l’empêcher de procréer, c’est porter atteinte à sa dignité, c’est l’exclure de l’humanité en la traitant soit comme une chose, soit comme un animal » (p.161). Faut-il alors encourager les couples handicapés qui formulent un projet d’enfant. Il faut plutôt les informer des conséquences et des risques, mais tout en respectant leur choix et surtout être prêts à les accompagner afin de veiller à ce que ce désir puise advenir dans les meilleurs conditions.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°494 ■ 08/07/1999