Le temps des rites - Handicaps et handicapés

Jean-François GOMEZ, Edition Desclée DE BROUWER, 1999, 195p.

Ses précédents ouvrages ne m’avaient pas convaincu (voir n°283 & n°387). Mais, ne faisant pas profession de « pourfendeur de Gomez », je me sens libre aujourd’hui de dire que la persévérance et l’humour de l’auteur à m’envoyer ses ouvrages afin, dit-il, que « vous puissiez les éreinter » ont eu raison de mon scepticisme. A moins, que ce soit là, l’un des effets inattendus du bogue. Savoir… Toujours est-il, que son petit dernier m’a séduit. Non, qu’on y retrouve subitement une démonstration simple et translucide et une réflexion limpide. Jean-François Gomez nous livre ici un écrit un peu difficile, mais qui se lit avec grand intérêt. Plongeant dans une recherche élaborée et faisant preuve d'une culture assez impressionnante, l’auteur tente d’explorer la problématique du handicap mental à partir de métaphores culturelles. Rituels des différentes civilisations, mythologie, littérature, linguistique, références historiques et même cérémonies du sacre des rois de France sont  appelés à la rescousse, pour essayer de décoder le mode de fonctionnement des institutions médico-sociales en charge des personnes handicapés mentales. Le propos n’est pas tendre : pour l’auteur,  ces dernières sont ni plus ni moins enfermées « dans un espace mental bien protégé et balisé où la société s’est donné pour tâche de tolérer avant tout le handicap mental,  (…) dans des simulacres de procédures dont l’efficacité est loin d’être avérée, (…) dans une image ’’d’enfance à vie’’ » (p.17) Les institutions sont le lieu privilégié d’instances symboliques comme ces synthèses où s’organise un jeu étonnant de rituels se partageant entre le circonstanciel, l’irrationnel et l’aléatoire ainsi que des séquences cérémonielles dont l’objectif est moins l’évaluation technique, le réajustement du travail ou l’orientation thérapeutique ou pédagogique que la création de lien social entre les acteurs. Mais ce qui est admis et préconisé pour les personnels est trop souvent refusé aux usagers. Ainsi, de ce temps cyclique marqué par des fêtes et des événements réguliers qui est si souvent encore remplacé par un temps linéaire où rien (ou si peu) ne vient scander le déroulement de la vie. Aussi, ces procédures d’admission trop peu préparées et aménagées qui permettent pourtant d’élaborer le passage entre l’intérieur et l’extérieur. Encore, le rituel de la mort qui accompagne la disparition d’un proche ou d’un autre membre de l’établissement et auquel on ne permet pas toujours à l’usager d’accéder, au prétexte qu’il ne serait pas en capacité de l’assimiler. Sans oublier, cette culture institutionnelle uniforme qui est imposée à tous, au mépris de la culture originelle de chacun. Tout se passe en fait comme si la personne handicapée mentale était dans l’incapacité d’accéder à la symbolisation. Cette mutilation supplémentaire imposée par la société les éloigne encore un peu plus du processus de réappropriation de leur humanité déchue.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°518 ■ 10/02/2000