Handicap et domicile. Interdépendance et négociations
Dreyer Pascal (sous la direction), Chroniques Sociales, 2011, 143 p.
Le 19 mai 2009, se tenait un colloque rendant hommage à Yves Lacroix, infirme moteur cérébral et quadraplégique, décédé en 2007 à l’âge de 54 ans, après s’être battu inlassablement pour défendre les personnes porteuses de handicap. Les actes de cette journée, réunis dans cet ouvrage, constituent une mine de réflexions d’une particulière pertinence sur le maintien à domicile des adultes en situation de grande dépendance. Faire le choix de quitter l’institution, pour vivre chez soi est un droit qui est reconnu à tout citoyen, dès lors que celui-ci passe d’une position de simple objet subissant les décisions et les manipulations d’autrui, à une place de sujet participant pleinement à l’élaboration de son existence. L’accompagnement d’une tierce personne que cela implique présente toutefois une face sombre : le fardeau que représente un aidant non choisi, se montrant sans égard, ni conscience pour la personne dont il s’occupe. Certes, il est toujours humiliant et attentatoire à la dignité, d’avoir à déléguer les soins et le secret de son corps, son intimité et son projet de vie à des mains étrangères. Mais, cette demande est d’autant moins douloureuse, quand on a à faire à un tiers agissant avec tact, discernement et efficacité ; sachant ensuite trouver la bonne attitude entre pitié et admiration, autant qu’entre rejet et attirance morbide ; considérant enfin le corps non comme un donné réifié, mais comme une matière vivante, capable de s’assouplir ou de se raidir, de s’adapter ou de devenir allergique, en fonction de l’interaction avec son environnement. Postures complexes à cultiver, dès lors que les auxiliaires de vie sont à la fois mal formés, mal payés et mal reconnus. L’effort à fournir pour les sortir de ce statut est colossal. Il sera pourtant incontournable, si l’on veut privilégier l’éthique ainsi que le savoir être qui permettent d’éviter une limitation aux seuls gestes techniques et de relier le savoir faire aux incontournables qualités humaines et relationnelles respectueuses de l’autre. Mais, pour nécessaire qu’elle soit, cette professionnalisation ne saurait être suffisante. Les professionnels de l’aide à domicile sont confrontés, de façon répétitive, à des situations qui peuvent entamer leur empathie et leurs capacités de penser. C’est notamment le cas lorsque les émotions surgissent et les dépassent, dans le moment de la présence tactile, visuelle et intellectuelle auprès de la personne aidée. Malgré des positions respectives asymétriques, seul le sujet en grande dépendance peut les guider et les rassurer dans une négociation qui n’a rien à voir avec du marchandage, mais qui relève de la responsabilité réciproque et de l’interdépendance qui les relie alors, l’un à l’autre.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1032 ■ 29/09/2011