La philosophie face au handicap
QUENTIN Bertrand, Ed. érès, 2013, 179 p.
Le handicap n’a jamais été une question centrale pour les philosophes. Socrate, tout à son amour pour la beauté, l’harmonie physique et la perfection corporelle, se demandait si la vie valait d’être vécue avec un corps en loques et en ruine. Discours paradoxal, puisqu’il démontrait combien sa propre laideur esthétique pouvait être compensée par l’accomplissement de sa richesse intellectuelle. Les stoïciens, quant à eux, préconisaient de noyer les enfants difformes. Il est vrai que le déficit physique faisait bien plus peur que celui atteignant l’esprit, la folie étant interprétée comme une forme d’émanation divine. Cicéron sera d’ailleurs l’un des premiers philosophes à considérer la maladie mentale comme potentiellement curable, en la comparant aux maladies physiologiques. Au 17ème siècle, Pascal considérait que la dignité de l’homme tient entièrement dans sa pensée, semant le doute, quant au sort des déficients mentaux. John Locke n’hésitera pas à situer ces derniers entre l’animal et l’être humain, le philosophe anglais et ses successeurs évaluant notre espèce à l’aune de ses performances intellectuelles présentes. Ce que l’on retrouve peu ou prou dans une société contemporaine cherchant à enfermer les existences dans le diktat de l’efficience et des critères de résultats. L’obsession du déclin colorant la réflexion de Nietzsche, ils seront un certain nombre à son époque, craignant une dégénérescence de la race humaine, à revendiquer un eugénisme social destiné à s’opposer à la reproduction de sa version inesthétique et non efficiente. La confrontation à la fragilité de l’être humain contraint la philosophie à repenser ce que peut être l’homme. Le handicap est parfois plus lié à l’exclusion due à la déficience qu’à cette déficience elle-même. S’il fait peur, c’est parce qu’il est la caricature vivante de ce que nous sommes tous et que nous ne voulons pas être : imparfaits.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1133 ■ 23/01/2014