L’adolescent suicidaire

Xavier POMMEREAU , Dunod, 1996, 252 p.

Xavier Pommereau est psychiatre. Il dirige à Bordeaux l’Unité Médico-Psychologique de l’Adolescent et du Jeune Adulte. Ce centre de court séjour reçoit 400 patients par an depuis son ouverture en 1992. Il sait donc de quoi il parle. Et il en parle remarquablement bien. Les premières lignes de son ouvrage donne le ton: « Tout acte suicidaire est l’expression d’une tragédie qui se joue sur l’avant-scène d’un profond désespoir intérieur ». Les 237 pages suivantes ne démentiront ni l’intelligence du propos, ni la finesse et la pertinence de l’analyse. Chacune des explications avancées s’appuie sur une vignette clinique qui donne au texte profondeur et émotion.

L’auteur rappelle d’abord brièvement les chiffres et statistiques qui commencent à être connus. Le suicide constitue la première cause de mortalité chez les 25-34 ans (la seconde chez les 15-24 ans). On estime à 20% la sous-estimation du phénomène (actes non déclarés officiellement comme suicides). On compte 10 fois plus de suicidants (acte non abouti) que de suicidés (acte accompli), sans compter les nombreux suicidaires (qui expriment le désir d’avoir recours au geste fatal). On trouve chez les suicidants 3 filles pour 1 garçon et chez les suicidés 3 garçons pour 1 fille. La brutalité de ces chiffres ne donne pas bien entendu la mesure de l’angoisse, de la détresse et de l’extrême souffrance pas plus de l’acteur que de son entourage. L’auteur tente d’apporter sinon une explication au moins des éléments de compréhension face à ce geste indicible.

Il y a d’abord l’adolescence, cet âge de la vie si propice à l’agir. Conséquence d’une difficulté à mentaliser, l’être humain valorise alors des actes qui lui permettent de recouvrer un rôle actif et donc un sentiment de maîtrise tant sur sa réalité externe qu’interne. Il va dès lors investir son corps d’une façon paradoxale: à la fois moyen d’agir et cible de ses agissements. L’allongement interminable de l’adolescence qui s’est accompagné de la disparition des rites de passage joue un rôle non moins important: sans repère ni étayage, certains jeunes vont chercher très loin les limites pour tenter d’exister.

Il y a ensuite les facteurs socio-culturels favorisant: les problèmes socio-économiques avec leur cortège d’exclusion, d’éclatement familial, d’altération du sens civique et de convivialité créent un climat propice aux passages à l’acte.

Pour autant, chaque individu conserve une étonnante plasticité adaptative permettant les réaménagements face aux changements et traumatismes subis. Le contexte social ne prime pas toujours sur le degré de tolérance, la vulnérabilité psychique et l’éventuelle fragilité narcissique propre à l’individu.

La configuration familiale constitue un autre facteur essentiel: climat relationnel délétère, confusion des générations, imprécision quant à la place de chacun, démission parentale, absence des pères, omnipotence des mères. Les abus sexuels occupent une place non négligeable dans la détérioration du contexte de vie de l’adolescent, pouvant mener au suicide. Mais le malheur touche aussi des familles en apparence « sans histoire ». Celles marquées par l’asepsie relationnelle sont tout aussi exposées que celles traversées par la violence agie.

Après avoir confronté la problématique du suicide adolescent à la société et à la famille, l’auteur consacre de nombreuses pages à resituer la question face à l’école puis face au dispositif de soins.

Quelles que soient les tentatives de compréhension abordées ici, rien ne pourra jamais amoindrir le geste fatal d’un adolescent: « son cadavre est un fardeau que les survivants auront à porter, dont le poids est celui de la culpabilité » (p.126).

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°368 ■ 10/10/1996