La drogue, 30 ans après
Claude OLIVENSTEIN, édition Odile Jacob, 2000, 276 p.
A l’heure de quitter son poste de chef de service à l’hôpital de Marmottan, qu’il occupe depuis l’ouverture de cette célèbre structure le 21 juillet 1971, Claude Olivenstein jette un regard rétrospectif sur trente années de combat pour aider, accompagner et accueillir les toxicomanes. Constat lucide et particulièrement intelligent d’un grand Monsieur qui a su montrer, au fil des années une clairvoyance qui prend racine dans sa méfiance face à toute rigidité, institutionnalisation ou hiérarchie. Ce livre passionnant dresse le portrait de ces toxicomanes dont le scénario de vie démontre, s’il en était besoin, qu’il n’existe pas d’explications simples, pas plus en cette matière que pour tous les autres comportements humains. On ne peut référer cette conduite ni à une pathologie (on peut être très normal et très équilibré tout en se droguant), ni à une simple délinquance. « La drogue, c’est bon, c’est très bon, il faut le dire et je crois que tout discours sur la toxicomanie doit partir de ce fait » (p.57) affirme l’auteur. Outre l’erreur d’avoir ignoré cette dimension hédonique centrale, deux autres fautes majeures ont été commises, poursuit-il : la prise en compte d’une manière isolée de chacun des produits psychoactifs et une loi répressive qui vise à l’abstinence en se refusant à distinguer entre l’usager récréatif et le véritable toxicomane. Si on commence aujourd’hui à modifier la première approche, la seconde reste toujours aussi prégnante (sa remise en cause serait-elle électoralement trop dangereuse ?). Pourtant, face aux 80.000 décès causés par le tabac et aux 50.000 victimes de l’alcool, les 300 morts d’overdose ne pèse pas très lourd ! « Fumer un joint de cannabis de temps en temps n’a jamais fait de mal à personne et n’entraîne pratiquement pas de dépendance » (p.45) affirme haut et fort Claude Olivenstein, en rappelant qu’il peut tomber ainsi sous le coup de la loi du 31 décembre 1970. Mais l’ouvrage de se résume pas à cette dénonciation de l’hypocrisie ambiante. Toujours aussi rebelle, l’auteur commence au nom du « modèle français » par attaquer avec virulence le principe de la substitution, pour finalement en admettre l’idée. Il est vrai que les conditions d’entrée du centre de Marmottan, dont l’ouvrage retrace avec beaucoup de détails la mise en place et le mode de fonctionnement, sont très strictes et nécessitent une forte motivation. Un tel modèle de fonctionnement peut parfaitement convenir à ceux parmi les toxicomanes qui ont suffisamment cheminé pour engager une démarche de soins. Mais qu’en est-il des autres ? Les différents modes d’intervention proposés dont celui de la substitution peut répondre à la problématique d’une autre partie des toxicomanes. Ce qui apparaît important c’est que ces différentes approches puissent se compléter et ne cherchent pas à s’exclure et à imposer sa suprématie l’une sur l’autre.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°568 ■ 15/03/2001