Le toxicomane et sa tribu

Nadia PANUNZI-ROGER, Editions Desclée de Brouwer, 2000, 180p.

L’ambition de Nadia Panunzi-Roger est bien ici de déconstruire la représentation sociale du toxicomane comme être social et dangereux, en incitant à ne pas s’en arrêter au symptôme, mais à reconsidérer la personne. On a, en effet,  trop tendance à fabriquer un personnage à partir d’un aspect ou d’une conduite. Or, il n’y a pas de rupture significative entre le toxicomane d’un côté et de l’autre le reste de la population. La toxicomanie n’est ni un état ni un processus, mais un moment de l’existence se situant pour l’essentiel entre 18 et 35 ans. « L’univers de la drogue n’est pas désorganisé, anomique comme on le croit souvent-, mais au contraire régi par des règles précises. » (p.31) La pérennité de sa consommation pousse le toxicomane à tisser un réseau de relations nombreuses, diverse et fiables. Il doit, par ailleurs, développer toute une série de compétences et de stratégies pour se protéger et survivre. Ces contraintes le pousse à rechercher une vie en communauté qui permet de faire face ensemble aux épreuves psychiques (ennui, solitude, violence, insécurité) et physiques (froid, faim, manque d’hygiène ...). Cette organisation en groupe présente de grandes similitudes avec le mode de fonctionnement des tribus primitives : préoccupation principale tournée autour de la satisfaction des besoins primaires, absence de base territoriale (pratique d’errance), disparition de l’individu derrière un but suprême (ici, la consommation du toxique), comportements ritualisés pour faire face à l’insécurité et l’incertitude (il s’agit ici avant tout d’obtenir les informations pour trouver les moyens de s’intoxiquer)... La cohésion du groupe n’est maintenue par aucune contrainte extérieure. Elle n’existe que par le partage d’un même vécu et d’un même ressenti. C’est une véritable pulsion à être ensemble qui agglomère les individus à partir d’une affectivité à fleur de peau qui  pousse tant à l’agrégation qu’à la désagrégation. Le groupe joue aussi un rôle unifiant et thérapeutique : il constitue un moyen de gérer les conflits intrapsychiques, mais est aussi source de violence, le toxicomane ayant en permanence en face de lui le reflet de sa propre image : l’autre c’est lui. « Le toxique supporte la fantasmatique du groupe, il fournit union et cohésion, confère une identité à chaque membre et fonctionne comme un mécanisme de défense contre l’angoisse » (p.118)  Penser la toxicomanie, c’est penser la complexité, explique l’auteur. Cette problématique se situe au carrefour de nombreux facteurs en interaction permanente, se cristallisant entre l’individuel et le collectif, entre les faits d’ordre psychologiques et ceux d’un ressort plus psychologique. Pourtant, fort de l’importance chez les toxicomanes de la vie communautaire, l’auteur s’interroge sur l’intérêt de la thérapie individuelle, préconisant une démarche s’appuyant bien plus largement sur la vie de groupe.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°552 ■ 02/11/2000