Je me tue à vous le dire. Le suicide à la croisée des regards de la psychanalyste et de la criminologie
Anne PERRIER-DURAND, érès, 1998, 126 p.
Le livre écrit par Anne Perrier-Durand est un éclairage tout à fait intéressant sur un sujet qui provoque si souvent sidération et impuissance.
L’auteur remonte le temps et nous rappelle les préjugés tenaces, les représentations et les interprétations qui ont été forgées pour tenter de comprendre et surtout de répondre au sentiment ambiant de culpabilité. La civilisation chrétienne refuse à l’individu le droit de disposer de sa vie. Le concile d'Orléans prive en 553 tout suicidé des rites funéraires. La justice va sous l’ancien régime pénaliser l’acte : le procès est alors organisé à la mémoire du défunt. Son corps est condamné à être traîné sur une claie, face contre terre, toute sépulture lui étant interdite. C’est en 1789 que le législateur rétablit le suicide comme une liberté de l’homme en le dépénalisant. Le temps de la proscription étant passé, vint celui des tentatives d’explication. C’est notamment le suicide des enfants qui bouleverse le plus : comment à l’âge où l’on joue encore à la poupée, peut-on mettre fin à ses jours ? Les interprétations se succèdent. Entre 1812 et 1856, on incrimine la mauvaise éducation (trop inhumaine ou trop laxiste). Entre 1840 et 1876, c’est la presse qu’on accuse d’être responsable de l’épidémie. Entre 1860 et 1910, on identifie le suicidé à un dégénéré, les stigmates de sa déviance étant même recherchés au niveau des mensurations crâniennes. Puis, viennent dans la première moitié du XX ème siècle les hypothèses sociologique (produit de l’évolution de la société), psychiatrique (prédisposition héréditaire liée à un trouble de l’instinct de survie) et psychanalytique (le sujet retourne contre lui-même une impulsion criminelle initialement dirigée contre autrui). Les théories sur le suicide apparaissent comme une véritable tour de Babel qui n’arrive pas à combler l’angoisse provoquée par cet acte. Depuis 20 ans son intensité s’est notablement accru passant de 7.100 à 12.000 par an (pour 150.000 tentatives, chiffre très certainement sous-estimé). En 1982, un ouvrage paraît chez Alain Moreau qui va faire scandale : “ Suicide : mode d’emploi ”. Les auteurs s’attaquent à un Etat qui s’arroge le droit de décider de la vie de ses citoyens. En 1987, une loi pénalisant l’incitation au suicide est votée à l’unanimité moins une voix. Cette voix est celle de J.P. Michel qui s’en prend à la malhonnêteté du discours politique consensuel qui prétend régler par la répression ce qui relève de la détresse au plus profond de l’être humain et le pousse au geste fatal. Mettant en évidence les dysfonctionnements de la société, de ses institutions y compris de la famille, le suicide constitue un acte subversif qui interroge tous les champs qu’ils soient social, médical ou juridique : le refus du sujet à se soumettre à l’obligation de vivre à laquelle le contraint le contrat social, la morale et la loi.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°461 ■ 05/11/1998