Société avec drogues, enjeux et limites

Sous la direction de Claude FAUGERON et Michel KOKOREFF, érès, 2002, 264 p.

La politique française en matière de drogue a été dominée pendant longtemps par la recherche d’une société sans drogues. Progressivement, des inflexions sont venues bousculer cette étroite perspective. Cela a commencé par la libéralisation de la vente des seringues, puis par la prise de position sans équivoque des intervenants en toxicomanie pour la réduction des risques et la dépénalisation des consommations. Certains policiers et juges en sont même arrivés à hésiter dans l’action répressive. Du coté de la recherche, beaucoup de remises en cause d’idées reçues. Ainsi, de ces convictions que la prise de drogue concernerait des individus faibles, malades et incapables de se contrôler. Une consommation récréative, socialement intégrée est possible sans pour cela tomber dans les scénarios catastrophes : « on ne peut plus se contenter d’associer la question des drogues à celle de la marginalité, de l’exclusion, de la désaffiliation. » (p. 24) A preuve cette étude réalisée auprès de 111 consommateurs de cocaïne vivant à Anvers. Tous reconnaissent les risques d’escalade qu’ils courent. Aussi, ont-ils particulièrement bien identifié les signaux d’alerte d’un dérapage toujours possible : prise de doses importantes, incapacité de s’arrêter, ne plus penser qu’au produit. Tout au contraire, revendiquent-ils leur capacité d’abstinence, leur possibilité de refuser une proposition, la consommation par petite dose ou à faible fréquence et la centration sur d’autres centres d’intérêts que le seul produit... et surtout la prise du produit quand ils se sentent bien, jamais quand ils se sentent mal. La drogue n’est pas pour eux une forme de révolte ou d’évasion mais une condition leur assurant la continuité et la cohérence de leur existence par ailleurs socialement tout à fait intégrée. L’illégalité de leur pratique ne leur permet toutefois pas de mutualiser les bonnes pratiques de consommation, les laissant à la merci des fausses informations et rumeurs. De fait, ni la famille, ni l’école, ni la culture ne donnent les clés de la consommation contrôlée. Peut-être faut-il dorénavant mieux distinguer entre les toxico-dépendants intégrés par le produit et les consommateurs qui l’intègrent de façon contrôlée. Nouveauté dans le champ de la drogue : le développement des groupes d’auto-support.  Sont d’abord apparus les associations d’entraide fonctionnant à l’image des « alcooliques anonymes ». Elles se fixent pour objectif d’aider leurs membres à atteindre l’abstinence et déclarent la guerre au produit. Second type d’initiative, celui de consommateurs structurés en groupes d’intérêt constitués initialement autour de la recherche de la prévention des risques. Ils tendent à faire de l’usager un individu responsable et servent de médiateur avec les institutions. Nouveau regard sur la drogue qui doit nous inciter à moduler nos pratiques.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°634 ■ 19/09/2002