Abattre le mur du silence
Alice MILLER, Aubier, 1991, 212 p.
Alice Miller nous propose dans cet ouvrage une synthèse de sa longue série d'écrits qui l'a amenée à partir de 1979 à dénoncer le rôle central de la maltraitance dans notre société : Le drame de l'enfant doué en 1979, C'est pour ton bien, 1980, L'enfant sous terreur, 1981, Images d'une enfance, 1985, et en 1988 : La souffrance muette de l'enfant et La connaissance interdite.
Il y a chez cet auteur une démonstration tout à fait exemplaire : un enfant battu, humilié, abusé et qui n'a pas trouvé d'adulte pour l'aider va enfouir ses sentiments de révolte, de colère et de honte au plus profond de lui-même. Il va refouler ces blessures qui, à l'âge adulte, vont resurgir de façon inconsciente dans des comportements cyniques et inhumains.
Soigner cet adulte sera alors possible mais à condition qu'on l'aide à revivre avec prudence cette expérience traumatique de son enfance et ainsi lui permettre de l'assumer.
Voilà, ma foi, une théorie fort intéressante qui mérite d'être reprise largement tant dans le soin que dans le champ du travail social.
Malheureusement, l'auteur dérive et dérape en essayant de transformer cette brillante hypothèse en vérité universelle et absolue qui permettrait de tout comprendre.
La maltraitance se transforme alors en phénomène quasiment général, "presque chacun d'entre nous a été victime de mauvais traitements", ces derniers devenant les racines presque exclusives de nos maux.
La société bloquée à tous les niveaux, dans une sorte de refoulement généralisé de sa propre enfance, freine et s'oppose aux révélations d'Alice Miller et à la seule thérapie susceptible de s'opposer à des comportements qui "menacent gravement la planète".
Les médecins tout d'abord, étouffent le cri de révolte de leurs patients par leurs médicaments et leurs théories.
Les psychanalystes ensuite, nient toute maltraitance en argumentant sur une simple fantasmatisation.
Les journalistes encore, qui refusent de dénoncer cette réalité.
Les associations pour l'enfance qui, elles, reconnaissent les faits mais préconisent le pardon et l'oubli.
Quant aux éditeurs, c'est uniquement l'appât du gain qui les amène à publier Alice Miller.
Le complot n'est pas loin !... Et pourtant, on ne se rend pas compte de ce que l'humanité perd en ignorant la vérité.
Une législation contre les mauvais traitements aux enfants serait la meilleure prévention contre le fascisme et les dictatures.
Quant au Sida et aux cancers, l'individu "si son histoire cachée, refoulée, parvient
enfin à sa conscience, son système immunitaire peut lui aussi se régénérer " !... "Le drame des sciences humaines, disait Michel Lemay dans son ouvrage sur L'éclosion psychique de l'être humain (Fleurus, 1983, p. 76), est de vouloir sans cesse découvrir une théorie unifiée de la vie psychique alors que chaque théorie, aussi brillante soit-elle, n'est qu'un instantané dans une démarche de compréhension faute de tâtonnements, de certitudes momentanées, puis d'erreurs, d'intuitions fulgurantes suivies d'enlisements passagers".
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°290 ■ 19/01/1995