Violences conjugales et protection de l’enfance; Enjeux et tensions

CLARIANA Lionel, Éd. L’Harmattan, 2024, 240 p.

Voilà un livre que tout(e) assistant(e) de service social devrait lire. Notamment les collègues qui sont confrontés à des situations de violence conjugale. La raison de cette recommandation tient dans la qualité de la conceptualisation proposée ici qui n’a rien à envier à l’investigation menée sur les pratiques à l’œuvre. Avec, à la clé, un pas de côté bienvenu.

Lionel Clariana, cadre socio-éducatif et chercheur en sciences sociales, a mené trois années durant (de 2019 à 2021) une recherche-action auprès d’une équipe d’un centre médico-social de secteur. Il s’agissait de dresser le diagnostic des problématiques de femmes victimes de leur conjoint et de leurs enfants, ainsi que des pratiques déployées à leur intention.

Toute une série de constantes émerge. La typologie, tout d’abord, des publics impactés venant rencontrer le service social. Sont d’abord concernées les personnes possédant à la fois une autonomie financière et un capital social. On trouve ensuite celles qui n’ont pas de revenus, mais pour qui existe néanmoins un réseau social soutenant. Enfin, il y a celles qui n’ont ni l’un, ni l’autre. Les professionnelles sont conduites à s’appuyer sur l’autonomie existante ou à l’encourager si elle est absente.

Autres cas de figure possibles : une situation de violence déjà connue avec un départ qui a pu être préparé ; une famille déjà suivie mais qui n’a jamais fait état de ce qu’elle vivait, nécessitant une réactivité dans l’urgence ; une femme inconnue des services, présente dans la salle d’attente avec un enfant et des valises qui ne laisse planer aucun doute.

Parfois, l’emprise de l’agresseur est encore opérante. Des années à inférioriser, à chosifier et à instrumentaliser réduisent à néant la confiance de la victime en elle et son estime de soi. Ce qui rend la motivation du départ fragile et aléatoire, propice à un retournement de situation. Le risque qui plane est bien celui du retour rapide possible vers le conjoint violent promettant une douteuse rédemption. Mais, la victime peut aussi avoir dépassé cette hésitation et tenir ses résolutions jusqu’au bout.

S’il n’est déjà pas simple d’avoir à se confronter à toutes ces variables pour ajuster l’accompagnement social, ça l’est encore moins quand il faut affronter, en plus, nombre de dysfonctionnements institutionnels. Des policiers ou des gendarmes ne prenant pas au sérieux la plainte déposée par la victime. Des juges des affaires familiales accordant un droit de visite au parent pourtant reconnu violent. Des procédures qui s’allongent. Des demandes de relogement bloquées, tant que la procédure de divorce n’est pas prononcée. Et surtout la carence dramatique des lieux pérennes de mise à l’abri. Avec comme seule solution des chambres d’hôtel. Quelle crédibilité maintenir, quand le (la) professionnelle constate que tous ses efforts d’accompagnement ont été ruinés par un manque de relais se traduisant par le retour de la victime au domicile de son conjoint violent ?

Si le constat de cette impuissance est essentiel, il est une autre argumentation présente dans ce livre qui ne l’est pas moins. Lionel Clariana propose une rétrospective historique de la prise en compte des violences domestiques. La femme et l’enfant ont longtemps été enfermés dans un impensé politique, soumis au paterfamilias car considérés comme incapables juridiques par nature et cantonnés à la sphère familiale. Ce statut commence à changer dans les années 1970 avec l’instauration de l’autorité parentale qui remplace la puissance paternelle. Mais il faut attendre 2010 pour qu’une loi prévoit la possibilité d’une ordonnance de protection et un téléphone grand danger pour la victime ainsi que d’un contrôle judiciaire pour le conjoint violent.

Mais, il a fallu attendre encore plus longtemps pour que l’enfant exposé aux violences conjugales soit enfin reconnu, dans un arrêté de 2021, comme victime directe d’une maltraitance à part entière. Maltraitance qui concerne 143.000 mineurs, dont 48% sont âgés de moins de deux ans. Ce danger a longtemps été négligé et il continue encore à l’être, la parole de l’enfant n’étant pas prise en compte, au prétexte de vouloir le mettre à distance du conflit parental.

Quand une violence physique, sexuelle, psychologique et par négligence (typologie établie par l’OMS) est exercée, l’enfant est écouté et entendu. Mais là, curieusement, alors que son développement est tout autant perturbé et la construction de ses rapports aux autres particulièrement entravée car fondée sur la violence relationnelle, il est mis de côté.

Deux approches dominent, en fait, les pratiques sociales. La première, dite conjugale, ne voit dans la violence domestique qu’un conjoint agressé par un autre. Le sort de l’enfant est trop souvent lié à celui de son parent victime. Il est censé aller mieux quand ce dernier ira mieux. La seconde approche, dite familiale, change la focale, en la centrant sur l’intérêt spécifique de l’enfant. Elle implique certes de mettre en cause le parent violent pour maltraitance par intention. Mais, tout autant le parent victime pour le même motif, mais cette fois-ci par omission, quand il n’a pas été encapacité de protéger son enfant.

Alimentée par de nombreux témoignages de professionnelles, structurée autour d’une revue systématique de la littérature internationale sur la question, fondée sur l’action sociale qui se construit, il serait dommage de passer à côté d’une telle étude.