Le Silence de Juju. Itinéraire d’une nigériane de la prostitution à l’émancipation
PENNA Armandine et MOREL Diane, Éd. du Faubourg, 144 p.
Comment peut-on faire un si bel objet avec une histoire aussi sordide ?
En ayant d’abord recours à un dessin d’une belle esthétique évoquant avec minutie et justesse les émotions, les représentations et les situations. Puis, en structurant le scénario et les dialogues avec réalisme et précision.
L’histoire de Faith nous plonge dans l’univers effrayant de la traite des êtres humains. Elle décrit dans le détail, la genèse de l’exploitation de ces femmes attirées en Europe sous de fausses promesses, finalement livrées à la prostitution. Elle déconstruit les mécanismes d’emprise qui les maintiennent sous la sujétion des réseaux de proxénètes qui les exploitent. Elle ouvre sur les perspectives s’émanciper de cet asservissement.
Sans jugement ni ethnocentrisme, sans voyeurisme, ni condescendance, ce récit nous fait entrer dans des destinées improbables et pourtant des plus réelles. Tout commence par cette misère vécue sans perspective d’en sortir et le mirage d’un occident offrant la possibilité d’y échapper. Le culte polythéiste local est instrumentalisé pour enfermer les victimes dans la nasse qui leur est tendue. Quand le piège se referme sur elles, rien ne semble leur offrir d’autres choix que de se résigner à leur sort.
Pourtant, cette histoire ne s’arrête pas à un constat désabusé et impuissant. Non, le monde tel qu’il ne va pas n’est pas inéluctable. Oui, il peut aussi aller mieux. Non, l’abdication n’est pas une fatalité. Oui, il est possible de combattre avec succès l’indignité et l’ignominie faites à ces femmes. Laissons au lecteur le plaisir d’en découvrir le cheminement.
Notons juste les pages qui décrivent l’intervention sociale. Elles mettent en exergue ce qu’il y a de plus respectueux et ajusté à l’égard de ces femmes : ni moral, ni conseil, mais plutôt une adéquation avec leur espace-temps, leur rythme et leur maîtrise des modalités de leur affranchissement. En phase avec ce pouvoir d’agir pouvoir qui conduit à agir avec les usagers et non uniquement pour eux.
Il faut lire cette bande dessinée. Parce qu’elle est belle. Parce qu’elle est instructive. Parce qu’elle est pleine d’espoir.