C’est pour ton bien - Racines de la violence dans l’éducation de l’enfant

Il y a 30 ans, cette rubrique remonte le temps en remettant sur le devant des critiques parue il y a trois décennies…

« C’est pour ton bien- Racines de la violence dans l’éducation de l’enfant » 

MILLER’, Éd. Aubier, 1993

Le hasard m'a fait lire dans le n°242 de Lien Social le compte-rendu de lecture de « l'Enfant derrière la porte », alors que dans le même temps, je terminais I’ouvrage d’Alice Miller « C'est pour ton bien- Racines de la violence dans l'éducation de l'enfant »

Sans être la réponse au témoignage de David Bisson, ce livre constitue néanmoins une contribution à la compréhension de la maltraitante dans son aspect reproduction transgénérationnelle. La thèse centrale d'Alice Miller consiste à démontrer les répercussions dans la vie de l’adulte de ce qui arrive à l'enfant dans ses premières années. Elle définit ainsi la psychose, la drogue ou la criminalité comme l’« expression codée des expériences de la petite enfance ». Toute la première partie du livre est consacrée aux fondements de la « pédagogie noire » qui a sévi jusqu’à une période avancée du XXème siècle. Parents tout-puissants, nécessité d'une éducation « à la dure » pour rendre fort, répression des sentiments, châtiments corporels, opposition aux besoins de l’enfant, impératif de la soumission et de l’obéissance, etc , sont des principes qui semblent avoir fait les beaux jours des générations qui nous ont précédés.

Puis, étudiant tour à tour l’enfance de personnages aussi divers que Christiane F., Adolf Hitler et Jürgen Bartsch (un jeune infanticide allemand), Alice Miller démonte le processus qui fait que chaque bourreau a été au préalable une victime. Ainsi, aborde-t-elle le phénomène de la reproduction transgénérationnelle de la maltraitance. Un adulte opprimé peut haïr son tourmenteur. L'enfant battu, lui, se trouve confronté à un père ou à une mère auxquels il est attaché. Par amour pour ses parents, il va refouler ses affects (colère, vengeance, ... ) et justifier les cruautés qu'il subit au nom de la punition de ses fautes ou encore comme des mesures salutaires pour son propre bien. Devenu adulte, il éprouvera le besoin compulsif de reporter à son tour sur ses enfants les humiliations et souffrances dont il a été lui-même victime, se prouvant ainsi que ses parents avaient raison d'agir de la sorte. La colère contre ses parents, rigoureusement interdite, est alors transférée sur d'autres êtres (violence, cruauté, délinquance...) ou sur lui-même (toxicomanie, suicide...). « Il y a peu de chances pour qu'un être invente quoi que ce soit de monstrueux, sans le connaître d'une façon ou d'une autre par expérience. » (p.221) Ce n’est qu’à partir du moment où l'adulte réussit à remonter aux origines de l'injustice qu'il a subie et qu'il peut non le justifier mais l'identifier à une conception néfaste de l'éducation, qu'il pourra en toute conscience cesser la reproduction de la maltraitance.

L'ouvrage d'Alice Miller qui est un auteur prolifique (7 livres en 9 ans !) se lit facilement. Et si l'on sait l'étudier en prenant le recul nécessaire, en évitant les généralisations hâtives (l'approche est intéressante mais ne permet pas toutefois de tout expliquer) et la volonté manifeste de fonder une nouvelle théorie totalisatrice (l'auteur a rompu avec l'Association Psychanalytique Internationale en 1988 et s'enthousiasme pour les théories du thérapeute suisse J. Konrad Stettbacher), on peut puiser des éléments de compréhension tout à fait intéressants et perspicaces sur une réalité que nous sommes trop souvent amenés à rencontrer.

 

(Paru dans Lien Social n°250 du 3 mars 1994)