Des barbares dans la cité - De la tyrannie du marché à la violence urbaine

Jean-Pierre Garnier, Flammarion, 1996, 381 p.

Avis aux lecteurs qui, malgré les années, sont restés un peu rebelles et qui aiment à ce titre ce qui est iconoclaste: cet ouvrage leur est destiné. L’auteur y parle de la violence urbaine  qui défraie régulièrement la chronique: vandalisme, vols, trafics de stupéfiant ou d’armes, incendies de voitures ou de bâtiments publics, razzias sur les supermarchés, violence dans les établissements scolaires, caillassage de bus ou de véhicules de police, débordements dans les manifs avec pillage de magasins, affrontement avec les vigiles, mise à sac de commissariat etc ... Mais cette réalité est décrite non pas avec la condescendance  journalistique habituelle. Cet accroissement de la violence et de la délinquance au sein des habitats populaires est directement relié à l’augmentation des inégalités, de la précarité et de la misère. Pourtant, ces causes socio-économiques sont depuis des années évacuées au profit de raisons liées à l’urbanisme des grands ensembles. Conçues comme contre-feux à la désespérance, les rénovations ont vu s’allumer de nouveaux feux au pied des immeubles flambants neufs. Il y a « mystification à poser un signe d’égalité réducteur entre problème de la ville et problèmes dans la ville » (p.169). La question urbaine est venue bien à propos camoufler les restructurations économiques responsables de l’exclusion. Le concept d’exclu, lui-même, a permis d’évacuer l’origine du processus :  il n’y a plus les opprimés et les oppresseurs, les exploités et les exploiteurs comme à l’époque où l’on parlait encore de lutte des classe. Il n’y a plus qu’un malheureux exclu, victime d’une intraitable adversité.

« Promouvoir une improbable urbanité comme remède à l’insécurité relève de l’emplâtre sur une jambe de bois, tant que liberté sera laissée au marché de remodeler la société au gré de ses lois » (p.214) Mais la société préfère s’en prendre aux fauteurs de troubles qu’elle génère plutôt qu’aux facteurs de trouble. C’est vrai que les exclus deviennent un problème gênant précisément lorsque les effets de leur exclusion se fait sentir.  A défaut de renouer les fils du tissu social déchiré, on peaufine le maillage répressif pour l’empêcher de se disloquer. Derrière l’ordre urbain, c’est bien l’ordre social qui doit être préservé. Et l’auteur de dénoncer largement tant les décideurs que les chercheurs qui camouflent cette réalité. Ce faisant, ils s’orientent non vers une explosion sociale, mais vers une lente implosion.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°412  ■ 02/10/1997