La fabrique de l’enfant maltraité - Un nouveau regard sur l’enfant et sa famille

Laurence GAVARINI et Françoise PETITOT, érès, 1998, 174 p.

Si la maltraitance pose un problème de fond aux professionnels, c’est bien celui de sa définition. On n’a pas réussi à trouver un contenu qui soit universel. Les facteurs qui permettent de la déceler ne se suffisent la plupart du temps pas à eux-mêmes (mises à part les traces de coup). Ce qui taraude les intervenants c’est le risque d’erreur qu’il soit par excès ou par défaut. D’où la nécessité de se pencher sur cette catégorisation qui « ne peut être séparée du contexte social et culturel dans lequel elle apparaît, qui le nomme, le produit et l’étiquette » expliquent en préambule les auteurs dans un ouvrage qui apporte une prise de distance bien utile et tout à fait pertinente. L’évaluation éducative et sociale a pour fonction de mesurer l’écart entre la compétence requise à procurer à l’enfant l’état de santé, de sécurité et de bien-être nécessaires au bon développement de l’enfant et les geste et comportements effectivement adoptés. Ce regard normatif prétend s’appuyer sur des données objectives : critères physiologiques, éducatifs, économiques. Des facteurs psychiques sont aussi proposés : être désiré, connaître ses origines, avoir un père et une mère. A partir de cette véritable cartographie, les manques sont repérés et en conséquence les risques, ainsi que les typologies des bonnes ou des mauvaises pratiques parentales. Les auteurs s’interrogent sur un dynamique qui s’identifie pour eux à un passage de l’enfant d’une place d’objet victime de la jouissance parentale à une place d’objet victime de la jouissance éducative des services sociaux. Et de revendiquer « la singularité de chaque enfant, de chaque parent, de chaque configuration familiale, vient mettre en question la possibilité de se référer, pour intervenir, à un savoir qui précisément ne prend pas en, compte cette singularité de la vie psychique de chacun »(p.112). Et d’inviter les intervenants à se dégager de leur imaginaire concernant le bien-être de l’enfant et à accepter leur non-savoir et leur incertitude : « ils doivent inventer au cas par cas une réponse unique qui produit pour chacun, y compris pour eux, du sens qui, contrairement à la signification explicative, produise des effets. » (p.112) D’autres schémas théoriques sont utilisées : nécessité d’un père (dont l’absence sera compensée par l’intervention d’un agent de l’Etat qu’il soit éducateur, psy ou juge), mise à plat de l’histoire familiale sur plusieurs générations (pour traquer la reproduction intergénérationnelle) ou encore implication de tous les membres du groupe dans la pathologie du patient (la thérapie familial systémique s’étant largement répandu). Tout un corpus cohérent qui désigne dans une logique totalisante l’entourage de l’enfant comme source des problématiques qui l’atteignent.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°476 ■ 04/03/1999