Enfant de personne

Geneviève DELAISI & Pierre VERDIER, 1994, Odile Jacob, 364 p.

Ici on n'y va pas par quatre chemins. C'est un véritable pavé dans la marre, marre d'un consensus qui s'avère plutôt être un géant aux pieds d'argile ne résistant pas longtemps aux coups de boutoir des auteurs !
La France présente la curieuse particularité d'avoir édifié un fantastique dogme quelle est la seule à partager dans le monde : celui de l'anonymat absolu et du secret dans certaines filiations. Cette notion partout ailleurs relative et discutée, fait l'objet chez nous d'un véritable tabou.
Pourtant, dans ce domaine, la deuxième moitié du XXe siècle a connu une formidable révolution : pour la première fois de son histoire, l'humanité a réussi à maîtriser scientifiquement la reproduction (maternité différée, périodes de stérilité aménagées, infertilité contournée).
Ces progrès gigantesques ont provoqué des réflexions sur les manipulations génétiques et l'éthique scientifique. On aurait légitimement pu s'attendre à une évolution du Droit.
Or si la Convention Internationale des Droits de l'Enfant proclame comme droit essentiel la connaissance de ses parents, la législation française, en complète contradiction avec ce traité pourtant ratifié par notre pays, organise le déni et le vide concernant la filiation d’une catégorie de citoyens. Ceux qui sont adoptés ou issus de méthode de procréation médicalement assistée peuvent dans certains cas se voir refuser tout droit de savoir de qui ils sont issus. On connaît déjà l'accouchement sous X permettant à une mère de garder l'anonymat. Il est aussi possible de remettre son enfant en demandant le secret de son état-civil (l'administration crée alors un faux acte de naissance modifiant les noms, prénoms et lieu de naissance).
La fécondation in vitro intervenant avec don d'ovocyte et l'insémination artificielle avec don de sperme perpétuent la même dynamique en rendant obligatoire l'anonymat du donneur.
On sait que l'enfant se construit à partir de son histoire. Le gommage des liens de parenté est une violence inadmissible faite à un être humain et à sa descendance, violence qui peut provoquer de graves troubles psychologiques. Les arguments tentant de défendre le maintien de ce secret ne résistent guère à l'examen : risque d'augmentation des infanticides (les pays qui ne connaissant pas la pratique du secret n'ont pas plus d'infanticides qu'en France), inutilité de connaître la vérité (l'enfant la pressent et de toute façon rien n'est pire que le mensonge et le non-dit).
Le secret ne sert pas non plus la mère biologique qui abandonne son enfant anonymement : ce geste la culpabilise et la plonge le plus souvent dans un processus de deuil interminable.
Quant aux parents qui élèvent l'enfant, si le secret semble leur garantir la tranquillité, il peut entraîner le jeune dans des déchirements et conflits de loyauté, l'empêchant d'assumer son histoire (comment tourner une page quand celle-ci n'existe pas ?), ce que ne souhaite aucun parent.
Les auteurs plaident pour le droit de l'enfant à connaître la vérité. Il pourrait avec l'aide de médiateurs, avoir accès, à un certain âge, à l'identité de son co-géniteur (si ce dernier donne son autorisation) soit à des informations non identifiants.
 Mais c'est là choisir l'intérêt de l'enfant comme pierre angulaire de la réflexion, ce qui est encore loin de l'habitude française qui favorise plutôt l'intérêt à court terme de l'adulte.
 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°258  ■ 28/04/1994