Pourquoi nos enfants deviennent ce qu’ils sont

Judith RICH HARRIS, Robert Laffont, 1999, 496 p.

A force de rédiger des manuels de psychologie, Judith Rich Harris s’est mise à douter de ce qu’elle professait. La psychanalyse qui va chercher l’origine des difficultés des adultes dans leurs rapports à leurs parents et le comportementalisme qui fait de l’enfant une cire molle facilement modelable par sa famille font pour elle la même erreur. La personnalité de l’enfant n’est en rien façonnée ou modifiée par ses parents. Voilà la découverte « révolutionnaire » de l’auteur (fallait y penser). La preuve ? Les enfants d’immigrés apprennent bien plus de leur culture d’accueil que de leurs propres parents. Les enfants de la noblesse anglaise du XIXème siècle, élevés hors de tout contact avec leur famille, ne s’en imprégnaient pas moins des traits essentiels du comportement de celle-ci. Les enfants de parents sourds, eux-mêmes entendant la plupart du temps, ne reçoivent pas leur culture orale de ces derniers. « Selon ma théorie, c’est le sous-système mental ’’esprit de groupe’’ qui permet à l’enfant de se socialiser et à sa personnalité d’être modifiée par l’environnement. » (p.214) C’est donc le groupe de pairs, les enfants auprès desquels le jeune évolue qui exercent l’influence déterminante. Peu importe ce que font les parents, cela n’a que peu d’effets. Ce qui compte, c’est qu’ils choisissent bien l’école ou le quartier au sein desquels les copains et les copines présideront à la socialisation de leur enfant. Le lecteur trouve cela un peu léger ? Il n’est pas le seul. L’auteur présente plusieurs éclairs de lucidité sur la pertinence de sa démonstration : « les preuves dont je dispose pour étayer ma théorie sont essentiellement anecdotiques » (p.241), « ma théorie se fonde une fois de plus sur des cas exceptionnels » (p.283) On ne peut mieux dire ! Quant à ces chercheurs qui « généralisent ce modèle et pensent qu’il fonctionne à l’infini. » (p. 442) Judith Rich Harris ne se rend pas compte qu’elle leur ressemble comme deux gouttes d’eau. Reste un discours-fleuve d’une grande culture non exempt de passages qui peuvent s’avérer passionnants. L’utilité de ce travail reste néanmoins dans la réhabilitation du rôle que joue la communauté dans l’éducation de l’être humain. Son influence, longuement négligée, mérite d’être rééquilibrée. Cette voie ouvre des solutions de réponse aux énigmes qui émaillent le quotidien des parents et des éducateurs et qu’explique fort bien l’auteur. Ainsi, des résultats différents que donne dans une fratrie une éducation en apparence identique. Ou encore cette attitude parfois si différente de l’enfant au sein et hors son foyer. Sans oublier l’impossibilité de systématiser les effets de l’ordre de naissance sur le caractère. A noter enfin, la dénonciation des corrélations abusives qui prétendent prédire l’avenir de l’enfant selon que sa mère exerce un emploi ou non, le place en garderie ou en nourrice, adopte un style de vie traditionnel ou plus marginal.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°522  ■ 09/03/2000