Frères et soeurs, pour le meilleur et pour le pire
Francine KLAGSBURN, Bayard Editions, 1994, 250p.
La relation qui s’établit entre frères et soeurs a de tout temps été idéalisée et érigée en modèle des rapports humain. Et ce au point que notre République a inscrit dans sa devise fondatrice aux côtés de la Liberté et de l’Egalité, la Fraternité. C’est sans voir toute la complexité de la condition fraternelle et passer sous silence ses aspects les plus sombres.
Francine Klagsburn, auteur d’outre-atlantique, a essayé d’y voir un peu plus clair en s’appuyant sur de nombreux témoignages ainsi que de multiples études tant sociologiques que psychologiques. Voilà de quoi intéresser les frère et soeur ou parents de fratrie que nous sommes -à quelques exceptions près- toutes et tous.
Si la complicité viscérale constitue bien la composante fondamentale du lien fraternel, il ne faudrait pas oublier l’autre caractéristique tout aussi incontournable que constitue cette concurrence acharnée pour obtenir l’amour et l’attention des parents ainsi que le pouvoir et le prestige au sein de la fratrie. Ce qui permet de structurer l’identité de l’individu, c’est certes son héritage héréditaire ainsi que le contexte dans lequel il naît, mais aussi et surtout les efforts qu’il déploie pour se différencier des autres enfants de la famille. En fonction des rôles déjà existants, on verra apparaître le sociable, le studieux, le turbulent, le rêveur etc ...
La vie est belle tant que l’aîné reste unique. A la naissance du deuxième, c’est une autre paire de manche: il est animé de sentiments contradictoires faits de colère et de jalousie contre celui ou celle avec qui il va devoir partager l’affection parentale, mais aussi de responsabilité à l’égard d’un cadet qu’il devra dorénavant guider et protéger. Ce dernier vivra dans une certaine dépendance qu’il entretiendra en ayant toujours un peu tendance à se faire prendre en charge.
Le favoritisme est très difficile à distinguer dans ce qu’il a de réel ou de perçu. Les parents échouent dans leur tâche quand la frontière s’estompe entre différenciation et traitement différencié. Destinée terrible alors que celle de l’enfant tombé en disgrâce, qui n’a alors d’autres ressources que celle de devenir ce qu’on le pousse à être. La place du préféré n’est pas toujours facile non plus tant pèse lourd le poids de celui en qui on a mis tous ses espoirs et qui n’a pas droit de les décevoir ...
Entre frères et soeurs, cinq stades de relation peuvent être définis: l’intimité, l’agréable, la loyauté, l’indifférence et l’hostilité. Le temps vient parfois arranger les tensions. Mais il arrive que celles-ci perdurent jusqu’au moment des héritages. Se rejouent alors les disputes et règlements de compte datant de l’enfance et qui ont parfois plus à voir avec l’amour et la reconnaissance de la part des parents défunts qu’avec les possessions et l’argent.
Reste cette intensité des sentiments qui unit la plupart des fratries et qui permet de dire: « il y a certains fous rires que vous ne pouvez partager qu’avec un frère ou une soeur » (p.236).
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■°338 ■ 01/02/1996