Les origines en héritage
Corinne Daubigny, Syros, 1994, 284 p.
L’ouvrage de Corinne Daubigny est dense et touffu. L’auteur s’interroge sur le rôle joué au sein de l’espèce humaine par l’inscription généalogique dans le temps et ses implications ethnopsychanalytiques.
Le système de parenté organise la conception culturelle des parents, des enfants, de la production des uns et des autres et de leurs relations. Or, ce qui fonde une communauté, ce n’est pas tant la reproduction sexuée que les mythes fondateurs qui laissent une place importante à la filiation spirituelle au détriment de la filiation d’origine. Cette réalité a pu être vérifiée dans nombre de civilisations. Si l’on prend la notre, on le constate tout autant. Le monothéisme judéo-chrétien fourmille ainsi de personnages fondateurs qui ne s’affirment comme initiateur et guide de leur peuple qu’en rupture avec leur propre famille. Ainsi en va-t-il de Joseph vendu par ses frères et qui devient fils du pharaon, de Moïse abandonné à sa naissance et de Jésus engendré directement par Dieu...La République, elle, ne s’inscrit pas en contradiction avec cette logique. Dans sa version antique, elle est créée par Rémus et Romulus, abandonnés eux aussi. Dans sa version moderne, elle pose comme principe en France d’arracher l’enfant à son milieu d’origine pour en faire un citoyen, sujet de pure raison (rôle de l’Ecole Publique).
Ce que l’on constate donc, ce sont des sociétés qui valorisent peu l’origine. On peut même dire qu’elles en sont malades. Surgissent alors des cohortes d’exilés de l’intérieur, sans racines, qui se raccrochent à des systèmes symboliques comme savent souvent si bien en construire l’intégrisme, le nationalisme, le racisme ou le patriotisme.
Pourtant, la quête des origines reste malgré tout présente. Ne pouvant se manifester ouvertement, elle se raccroche aux théories infantiles qui datent de l’enfance et qui attribuent la naissance à des raisons magiques (action des esprits, du ciel, de la technique, ...). L’auteur consacre de longues pages à démontrer comment l’adulte, en restant prisonnier de ces visions cherche en fait à refouler ou dénier tant le conflit oedipien que l’interdit de l’inceste.
Autre ressort qui permet à l’enfant d’affirmer sa personnalité et de cheminer, c’est le roman familial. Dans une famille saine, triangulée par la présence des deux parents, l’oedipe permet à l’enfant de sortir de ce cercle en imaginant une autre filiation, des parents plus conformes, idéaux en quelque sorte. Ce roman le soutient dans l’éloignement progressif qui doit lui permettre de devenir un être autonome. Mais comment fantasmer sur ses origines quand celles-ci sont inconnues ? Père et Mère biologiques apparaissent tour à tour merveilleux et monstrueux, selon que l’enfant se vit divin ou vermine.
On l’aura compris, Corinne Daubigny s’élève avec violence et passion contre toutes les pratiques qui mutilent l’enfant de tout ou partie de sa filiation d’origine: déclaration de naissance anonyme, secret de l’état civil de l’enfant, accouchement anonyme, insémination artificielle par donneur, don anonyme d’ovocytes et d’embryons, toutes choses qui marquent d’un blanc le premier paragraphe de l’histoire du sujet. Quand on sait que 85% des pupilles interrogés lors d’une enquête déclarent désirer en savoir plus sur leur origine, on peut se demander avec l’auteur si « l’idéologie et les pratiques juridiques et sociales ne fabriquent pas annuellement plus de ’’potentialités psychotiques’’ et de personnalités ’’borderline’’ que tout le dispositif sanitaire et social ne peut en sauver ».
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°342 ■ 29/02/1996