Les héritages familiaux
Sous la direction de Bernard Prieur, ESF, 1996, 143 p.
« Du passé faisons table rase »... le temps de la jeunesse se prête tout particulièrement à ce vieux désir de construire un monde nouveau qui ne doive rien à ses ancêtres. Une telle démarche est d’autant plus prégnante quand elle se situe dans une époque pleine de sécurité et de garantie. Dans une période au contraire faite d’affaiblissement des formes de cohésion sociale et d’atomisation, la mémoire du passé s’avère indispensable non seulement pour construire l’avenir mais aussi pour ordonner la temporalité socio-historique. Si d’un côté, à trop spéculer sur le passé, on risque de poursuivre des chimères, on ne peut que reconnaître qu’avant de donner, nous recevons et que tout fonctionne dans la coexistence et la succession des générations.
Le thème central de l’ouvrage rédigé sous la direction de Bernard Prieur est bien là: « Nous recevons en héritage l’acquis de toutes les générations qui nous ont précédés. Chacun de nous n’est qu’un maillon dans une longue chaîne de transmission datant des débuts de l’humanité (...) Nous sommes riches d’acquis, d’habiletés, d’aptitudes qui resteront à développer » (p.13) Au travers d’apports ethnologiques, juridiques, thérapeutiques, psychiatriques et psychanalytiques, c’est le cheminement de l’héritage psychique qui transite d’une génération à l’autre que nous suivons.
L’organisation spécifique de chaque société prédispose à des modalités d’héritage et de conflit fort différents selon le cas explique Martine Segalen, ethnologue de profession. Dans un système égalitaire (où chacun des enfants hérite) l’opposition a lieu plutôt au sein de la fratrie. Dans une logique matrilinéaire, la succession se déroule entre l’oncle maternel et son neveu. Les conflits ont plutôt lieu entre eux deux, laissant la tendresse et la proximité se développer entre le père et le fils. Le mode de dévolution des biens est à l’origine des relations affectives et de la continuité entre générations.
Mais l’héritage ne concerne bien entendu pas seulement les biens continue Anna Maria Nicolo Corigliano, psychiatre et psychanalyste. Il s’intéresse aussi aux traumatismes. On peut souffrir à la place d’un autre, notamment si cet autre est membre d’une précédente génération. Cela peut provoquer soit une compulsion de répétition soit une réparation créatrice.
Pour autant, rien n’est plus tenace que ce mythe qui attribue à l’alcoolisme un facteur héréditaire rappelle Jean Maisondieu, psychiatre. Si mécanisme de reproduction il y a, cela relève du domaine des loyautés contradictoires: en se mettant à boire il obéit à son père en l’imitant et à sa mère en confirmant ses précisions et ses craintes.
Pour Brigitte Camdessus, les projections familiales sur les ressemblances physiques transgénérationnelles induisent un héritage supposé au niveau caractère à l’image de cette grand-mère retrouvant les attitudes de son fils adolescent chez son petit-fils alors-même que ce dernier avait été adopté à l’âge de trois ans. Le biologique n’est pas distinct du culturel et le génétique de l’apprentissage: il y a bien plutôt conjonction.
Au total, nous n’avons pas le choix: si nous voulons prendre notre place dans la lignée, il nous faut reconnaître notre héritage.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°389 ■ 13/03/1997