Le mythe de la mauvaise mère, les réalités affectives de la maternité

Il y a 30 ans, cette rubrique remonte le temps en remettant sur le devant des critiques parue il y a trois décennies…

« Le mythe de la mauvaise mère, les réalités affectives de la maternité » 

Jane SWIGART, Robert Laffont, 1992, 299 p.

La mère est naturellement éducatrice et pleine d'abnégation et de dévouement. Ce mythe a été imposé au XIXe siècle à grands renforts de moralistes et médecins. Il a supplanté des siècles de paralysie de la pensée provoquée par la peur face à la très forte mortalité infantile.
Pourtant, toute mère est déchirée et ambivalente : tantôt madone, tantôt sorcière. Mais l'avouer, c'est risquer aussitôt d'être cataloguée comme "mauvaise mère". Élever un enfant, déclenche des impulsions des plus généreuses (attachement, amour), mais en même temps des plus basses (envie, rancune, jalousie, cruauté, possessivité, narcissisme...). Etre mère, c'est se fondre dans ses enfants, deviner leurs sentiments, connaître leurs besoins pour y répondre et les satisfaire, tout en acceptant petit à petit de les laisser partir et de devenir libre.
Etre mère, c'est assurer une présence permanente, pour ensuite accepter de ne l'être que de temps en temps. Etre mère, c'est empêcher l'enfant de vivre ses besoins inconscients à soi et lui permettre de vivre ses désirs à lui en devenant ainsi autre chose que ce qu'on souhaitait pour lui. Etre mère, c'est un don sans retour : l'un donne, l'autre prend. Aussi, est-ce tout naturel d'être, dans ces conditions, assaillie par des sentiments de dégoût, de découragement et l'impression d'être manipulée. Parfois, c'est le sentiment d'impuissance qui domine : plus de patience, plus de désir, plus d'énergie face à l'enfant. Mais essayer de comprendre ce que ressent cette mère, c'est risquer d'être submergé par ses frustrations, son angoisse, son ambivalence et sa culpabilité. Alors, on n'en parle jamais.
Les parents auraient pourtant tant besoin qu'on les soutienne sur le plan affectif et qu'on reconnaisse et valide chez eux cette alternance successive et répétée d'amour et d'impuissance. Se pencher sur ses propres sentiments est la clé d'une meilleure approche de ses méthodes éducatives qui constituent le miroir de l'âme. Ses désirs profonds, ses nostalgies et ses pulsions destructrices prennent alors leur véritable dimension.
Jane Swigard nous offre une réflexion passionnante sur la fonction maternelle. Son essai est traversé par de nombreuses références littéraires qui semblent être les seuls lieux où ont droit de cité le doute, le désespoir et l'incertitude, ces sentiments troubles de la maternité.

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°281 ■ 10/11/1994