Pères solos, pères singuliers
HUERRE Patrice et PELLÉ-DOUËL Christilla, Albin Michel, 2010, 148 p.
La situation n’est pas nouvelle. Les 10% de mortalité en couche, qui auront perduré pendant longtemps, confrontaient déjà les veufs à la responsabilité solitaire de leurs enfants. Ce qui est bien plus inédit, c’est le choix de certains pères de vivre seul, allant parfois jusqu’à renoncer à toute relation de couple pour consacrer toute leur affection à leur rôle parental. Cela concerne 15% des enfants âgés de 0 à 6 ans (et 18% des adolescents) et 300.000 « papas solos ». Le mouvement historique, qui a permis aux femmes de s’émanciper du carcan de la seule destinée d’épouse et de mère, n’a pas remisé les schémas de pensée inconscients hérités de la nuit des temps. Ces pères qui s’occupent seuls de leur progéniture apparaissent soit comme des héros, soit comme les victimes de l’indifférenciation des rôles symptôme du déclin de la fonction paternelle, quand le spectre de la pédophilie ne fait pas peser sur eux le soupçon de ne pas être tout à fait au clair dans leurs intentions. Quels que soient les efforts déployés, jamais un père ne semble pouvoir faire aussi bien qu’une mère affublée de qualités innées : sa tendresse et sa vulnérabilité indispensables à l’écoute et à la compréhension des besoins du petit d’homme sont décidément incompatibles avec le modèle de virilité du mâle. « Il faut du temps pour que les nouveaux schémas s’incarnent et deviennent modèle et normes sociales » (p.112) Les auteurs présentent ici, avec beaucoup de talent, une problématique qui voit se multiplier des théories parfois contradictoires. Être père relève d’abord d’un statut juridique (reconnaissance légale). Ce peut être ensuite une réalité biologique (liens du sang). C’est enfin une dynamique affective (aimer, accompagner, éduquer au quotidien). Mais, la combinaison partielle ou complète de ces trois dimensions recouvre à son tour bien d’autres implications. Transgénérationnelle, par exemple, tant il est vrai qu’avoir un enfant, c’est revivre à travers lui ce qu’on a soit même vécu en tant que fils. Co-générationnelle aussi, quand se pose au père le choix de rétablir une relation de couple : « en n’étant pas seulement dévoué à la cause de l’enfant, le père autorise ce dernier à n’être pas entièrement dévoué à la cause de son père » (p.121). L’enfant doit se construite autant avec les manques et les frustrations, qu’avec le plein d’amour et le dévouement. C’est encore la compensation de la place de la mère : la manière dont le père la parle et vit son absence pèsera sur la façon dont l’enfant vivra un secret ou une énigme potentiellement pathogènes. Les auteurs en appellent à la prudence, avant de classer et interpréter, de façon définitive, cette nouvelle paternité, les questions étant plus nombreuses que les réponses.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1022 ■ 16/06/2011