Petit traité des conflits ordinaires
Dominique PICARD et Edmond MARC, Seuil, 2006, 261 p.
Il est traditionnel d’aller chercher l’origine d’un conflit dans les traits de caractère des protagonistes, dans leurs difficultés à s’écouter ou à se comprendre ou encore dans des dimensions affectives telles que la rancœur, la jalousie ou l’animosité… Les auteurs démontrent ici que la complexité à établir un consensus ne constitue pas une aberration, mais une issue possible à la communication au même titre que l’entente ou la compréhension réciproque. En un mot comme en cent : il est aussi normal de se disputer que de vivre en harmonie. Pour se sentir exister, chacun d’entre nous cherche à être reconnu dans le regard des autres. Pour prévenir tout rejet ou disqualification, il s’arrange pour présenter une image positive de soi. Cela ne relève pas d’un quelconque narcissisme, mais de la simple volonté de se faire aimer, quête fondatrice à tout être humain. La stratégie mise en œuvre pour y arriver, valorise les qualités que l’on sait avoir et minimise les défauts que l’on cherche à cacher. La relation aux autres peut finalement se résumer à une parade : parader pour s’exhiber et se faire valoir, parer dans le sens de se protéger. Seule est équilibrée la relation qui permet à chacun de conserver et de défendre une image valorisante de soi. Mais de multiples facteurs freinent cette élaboration réciproque. Il y a d’abord ces personnes égocentrées. Plus on est ouvert à l’autre, plus on a des chances de donner à son message le sens que celui-ci a voulu y mettre. Mais, plus on est centré sur soi, plus on a de risques de s’éloigner de ce qu’il a vraiment voulu dire. Il y a aussi ces personnes qui, à force d’être coupées de leurs propres émotions, ont bien du mal à recevoir celles des autres. Et puis, il y a les mécanismes de défense mis en place pour se protéger des dangers de l’interaction : les précautions oratoires, les euphémismes, les suspensions ou les ambiguïtés dans les propos qui, s’ils visent à arrondir les angles et à atténuer les aspects potentiellement blessants du discours, n’en brouillent pas moins parfois la communication, à force d’être utilisés. Sans oublier les projections qui amènent à attribuer à l’autre ce qu’on ressent soi-même. La norme serait donc plutôt l’incompréhension réciproque, la compréhension étant le plus souvent le résultat d’un gros travail d’inférence consistant à tenter de déduire et interpréter la position de son interlocuteur. Il faut alors décrypter ce qui relève de l’implicite et de l’explicite, distinguer entre le contenu de l’information et ce qui relève des relations entre les partenaires. On comprend dès lors qu’entrer en relation avec quelqu’un, c’est symboliquement prendre une place vis-à-vis de lui. Cette démarche est sous-tendue en permanence par des tensions entre l’ouverture et la fermeture à l’autre, la recherche d’assimilation au groupe et la différenciation à son égard, l’affirmation de soi et la protection de son territoire. L’établissement d’une relation symétrique et réciproque ne va donc pas de soi.
Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°835 ■ 05/04/2007