N’y a-t-il pas d’amour heureux? Comment les liens père-fille et mère-fils conditionnent nos amours
Guy CORNEAU, Robert Laffont, 1997, 297 p.
Guy Corneau, auteur québécois déjà connu pour son précédent « père manquant, fils manqué » nous propose ici une exploration des relations humaines à l’aune des théories de Jung. La base de sa démonstration part d’une dénonciation du patriarcat qui ne fait pas qu’opprimer les femmes mais aussi les hommes. Si les premières sont condamnées à la soumission, les seconds se voient confrontés au modèle du mâle héroïque et dur construit sur l’amputation du coeur et du corps, sur la répression de la sensibilité et de la sensualité. La prise d’autonomie progressive des femmes a accompagné l’ébranlement du patriarcat. La crise du couple qui s’en est suivie doit pouvoir aboutir à la création d’une authentique intimité entre homme et femme dans l’égalité et la complémentarité: « être uni en continuant d’être deux individus à part entière, être deux sans cesser d’être unis » (p.29) Chaque être humain possède en lui un anima (représentation fantasmée du féminin) et un animus (représentation fantasmée du masculin) construits à partir du parent du sexe correspondant. C’est à partir de ces images, qu’à l’âge adulte, se forment des couples, chacun cherchant à trouver dans son conjoint l’être qui collera à l’animus ou à l’anima qu’il porte en lui. C’est bien souvent parce que les partenaires n’arrivent pas à dépasser cette recherche que leur amour ne va pas au-delà de la période passionnelle. Les impasses d’ hier expliquent souvent celles d’aujourd’hui. C’est le silence du père qui crée la femme qui aime trop et la sollicitude maternelle qui produit l’homme qui a peur d’aimer. L’étalon de mesure d’une identité saine comporte la confiance en soi, la capacité à faire des choix, à suivre ses goûts et ses envies et à créer des liens affectifs. Une telle personnalité ne peut advenir si l’enfant n’est pas soutenu dans son exploration du monde et dans l’affirmation et la manifestation de ses sentiments et besoins. Les parents possèdent là un fabuleux pouvoir destructeur qu’ils doivent reconnaître pour mieux apprendre à le contrôler. Les garçons élevés trop près de leur mère peuvent subir un véritable inceste affectif. Plus la relation sera fusionnelle, plus les moyens utilisés par l’adolescent pour s’émanciper seront violents y compris sous forme de passages à l’acte délinquants seuls susceptibles à ses yeux de le libérer du joug maternel. Quant aux filles qui ont manqué de père dans leur développement psychologique, elles verront leurs comportements adultes entachés soit d’un fonctionnement d’éternelle adolescente soit d’amazone conquérante et guerrière. Si l’absence de parents constitue pour l’enfant un traumatisme terrible, le « trop de parents » est tout autant dramatique.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°421 ■ 04/12/1997