Le harcèlement moral - La violence perverse au quotidien

Marie-France HIRIGOYEN, Syros, 1998, 212p.

La psychanalyse, qui constitue en France l’école la plus influente en matière de thérapie, considère la victime du harcèlement moral au mieux comme complice au pire comme responsable (car identifiée au masochiste qui chercherait l’échec et la souffrance nécessaires à l’assouvissement d’un besoin de châtiment).  C’est peut-être la raison à la fois du retard avec lequel la victimologie a percé dans notre pays (admise comme discipline universitaire depuis 1994 seulement) et à la fois du succès de l’essai de Marie-France Hirigoyen qui se vend fort bien depuis quelques mois. Et c’est vrai que tenter d’expliquer les raisons qui amènent un individu à devenir victime intéresse beaucoup de monde. Les manipulations pour maintenir dans la dépendance existent d’abord au niveau du couple. On peut aussi les identifier au sein de la famille dans ces véritables conditionnements négatifs et lavages de cerveau que subissent parfois certains enfants de la part de parent(s) les brimant à tous propos. Et puis, il y aussi cette atteinte à la dignité et à l’intégrité tant physique que psychique dans les milieux de travail. L’auteur nous dresse un portrait assez monstrueux de l’acteur principal du harcèlement : le pervers. C’est avant tout une personne animée d’une absence totale d’intérêt et d’empathie pour l’autre. Insensible, elle ne séduit que pour mieux manipuler maniant l’appropriation, la domination et l’empreinte laissée sur autrui. Pour s’affirmer, le pervers doit détruire l’autre en s’attaquant à son estime et à sa confiance en soi. Du côté de la victime, inutile d’imaginer qu’il s’agit d’une personne affaiblie ou désarmée. Tout au contraire c’est quelqu’un doté d’attraits que cherche à s’approprier le pervers. Son seul défaut, c’est d’être normal. Le harcèlement provoque chez lui confusion et doute. Il culpabilise facilement imaginant avoir quelque responsabilité dans la situation et pensant qu’il y a toujours matière à arrangement ou à négociation. Notre auteur psychiatre de métier est intraitable : « face à un pervers, on ne gagne jamais » (p.173). Soit on se soumet, soit on se révolte et on se lance dans le conflit (en assumant sa douleur et sa culpabilité, mais sans essayer de se justifier). Cela laisse des traces, le traumatisme ne disparaît pas avec la rupture. Mais c’est l’unique façon de s’en sortir. Marie-France Hirigoyen nous place ici dans une perspective de guerre ouverte ou il n’y a guère de place pour une trêve ou une médiation qui seront toujours mises à profit par le pervers qui sait comme personne d’autre retourner les situations à son avantage et changer les rôles en passant pour la victime. Terrifiant.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°480 ■ 01/04/1999