De mieux en mieux et de pire en pire
TAVOILLOT Pierre-Henri, Ed. Odile Jacob, 2017, 264 p.
Depuis le commencement des choses, ce fut toujours mieux avant, explique Pierre-Henri Tavoillot. La rengaine ambiante reprenant le « tout va de pire en pire » n’est pas récente. Elle faisait dire à Sénèque il y a 2.000 ans combien l’homme ne cesse de regretter le passé et de craindre l’avenir. Pourtant, si tout le monde se plaint, personne ne veut revenir en arrière. Car, chacun constate que « tout va de mieux en mieux ». Comment expliquer cette ambivalence ? L’émergence de la modernité a bousculé les trois piliers traditionnels sur lesquels se fondait la société. Les mythes immémoriaux ne légitiment plus le présent. La cosmologie ne justifie plus l’ordre du monde. Et les principes sacrés de la théologie ne fondent plus les repères sociaux. L’autorité ne plonge donc plus ses racines dans ces valeurs, se tournant plutôt vers les registres précaires de l’expertise, de l’influence charismatique et de la sollicitude compassionnelle. Il en va de même de cette quête constante d’une sécurité attendue par chacun et qui a pu un temps trouver une réponse dans l’État providence, dans l’ordre magique du marché et dans l’assurance protégeant des risques aléatoires, trois refuges eux-mêmes minés. Si l’on considère la vieillesse qui fut longtemps l’accomplissement suprême de la sagesse et de l’érudition, elle a perdu son aura. À l’heure de la performance, de l’urgence et de l’innovation frénétique, elle est réduite à un naufrage. Quant à la justice, elle ne sait que privilégier : la répartition selon les mérites, selon les talents ou selon les besoins. Le déclin de la culture générale que l’on se plaît à souligner si souvent s’explique sans doute par le grand écart entre le kit de survie (qui donne à chacun un égal accès au minimum) et le projet encyclopédique (qui conforte les hiérarchies sociales). Le brouillage envahit toutes les sphères, aggravé encore par les deux tempos qui ont rythmé la transition vers la modernité et se perpétuent dans la modernité tardive : la destruction créatrice (le nouveau brisant l’ancien) et la révolution conservatrice (tentative de retour à un passé mythifié). Au final, la démocratie se heurte à un obstacle quasiment insurmontable. Quand les inégalités s’imposent depuis longtemps, ses manifestations sont subies avec résignation. Mais, plus le désir d’égalité domine, plus son aspiration est puissante. Aux promesses infinies de liberté, de fraternité et de bonheur ne peuvent que répondre des réalisations toujours imparfaites, partielles et inéquitables. Aucun progrès n’abolira jamais tout risque tragique et toute incertitude contingente.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1224 ■ 08/03/2018