Histoire d’un mensonge. Enquête sur l’expérience de Stanford
LETEXIER Thibaud, Éd. Zones, 2018, 295 p.
En août 1971, le psychologue Philip G. Zimbardo mène l’expérience dite de Stanford avec une vingtaine d'étudiants qui se voient attribuer de manière aléatoire des rôles de gardien ou de détenu dans une fausse prison. En quelques jours, ceux qui ont revêtu un uniforme se transforment en sadiques. Depuis cinquante ans, les manuels universitaires de psychologie, de criminologie et de pénologie, qui en ont reproduit les résultats, évoquent combien les frontières sont poreuses chez l’être humain entre le bien et le mal et combien nos comportements sont influencés par notre environnement. Même si l’expérience n’a jamais été reproduite, elle n’a jamais été remise en cause. Après avoir étudié les archives rendues publiques en 2011, Thibaud Letexier a pu découvrir les protocoles mis en œuvre qui démontrent une incroyable fraude scientifique. La démarche employée a, en fait, servi à fournir une validité scientifique à des préjugés, non à expliquer ; à donner corps à un jugement, non à tester des hypothèses. Loin d’agir spontanément, ce qui aurait pu prouver le penchant naturel de notre espèce pour la violence et l’influence des rôles sociaux, les « gardiens » jouaient le rôle qui leur était fixé, recevant chaque jour des consignes précises quant au comportement qu’ils devaient adopter. Ils étaient informés des buts recherchés par les expérimentateurs qui intervenaient directement pour encourager les antagonismes et créer des tensions. Les résultats de cette expérience n’ont aucune validité généralisable. Zimbardo n’a retenu que ce qui allait dans le sens de ses convictions, rejetant ce qui les invalidait : tout doit venir de la situation dans laquelle se trouve le sujet, rien n’est lié à sa personnalité. Le chercheur a fait place au professeur et le professeur au prédicateur. Comment expliquer cette mystification ? Sans doute l’université de Stanford, qui était alors en quête de notoriété, a voulu valoriser une recherche intrépide. Et puis cette expérience entrait en cohérence avec l’air du temps. Sans oublier que Zimbardo fut particulièrement habile comme metteur en scène et comme communiquant, la presse lui servant de caisse de résonnance. Si cette duperie n’invalide pas les sciences humaines, elle démontre qu’elles sont le produit impur de stratégies, de convictions, d’effets de mode, de luttes d’influence, de copinage et d’investissements intéressés.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1294 ■ 27/04/2021