Rire. Une anthropologie du rieur

LE BRETON David, éd. Métailé, 2018, 254 p. 

Le rire ne peut être réduit à ce qui est risible. Car, si tout est susceptible de le devenir, ce qui rend l’un hilare, laissera l’autre de marbre. Il n’existe donc pas sans la signification qui lui donne naissance. Il est le résultat d’une situation qui prend sens aux yeux d’un individu particulier, par son décalage avec la norme ou le réel. Ses sources sont infinies. S’il s’enracine d’abord dans la joie et la bonne humeur, il peut tout autant être l’expression de la détresse, de la honte que de la timidité ; de la raillerie, du triomphe que du sentiment de supériorité ; de la surprise, de la politesse que de l’embarras ; du dédain, de la morgue que la haine ; du défi, de la volonté de sauver les apparences que de la mise à distance d’une émotion. Nourri par la joie et le bonheur d’être ensemble, le rire contagieux ricoche alors d’un individu à son voisin. Mais, alimenté par la moquerie et la cruauté, il peut tout autant inciter à la haine à travers la jubilation et la moquerie.

Le rire est socialisateur, neutralisant l’agressivité et soudant les personnes dans une interaction qui renforce leur entente. Il est connivence, partage d’émotions, source de partage, permettant de réagir face au drame, en ne lâchant pas prise. Mais si le rire est un liant social, il peut l’être au détriment d’un tiers. Il remplit alors un rôle de police normalisatrice : il peut humilier et ridiculiser, en exerçant une pression sur l’individu non conforme aux attentes de l’ordre moral.

Bien qu’universel, il n’emprunte pas moins des formes culturelles et historiques spécifiques. C’est une convention sociale marquée par son temps, chaque époque engendrant ses codes. Longtemps l’église l’identifia au diabolique, le percevant comme un excès, une obscénité et un manque de contrôle. Mais, c’est bien la civilisation des mœurs qui viendra à bout des charivaris, carnavals et autres bouffons, en disciplinant, en mettant au pas et en contrôlant le rire. Il faudra attendre le XXème siècle pour qu’il retrouve sa légitimité : ironie, autodérision, burlesque, calembours, imitations … sont devenus monnaie courante. Parce qu’il permet le dépassement de la tragédie, le rejet de la position victimaire et la prise de hauteur, qu’il offre une fluidité à la pensée et une arme secrète face à l’adversité, « le sens de l’humour témoigne de la lucidité d’être soi et de ne pouvoir tout à fait se prendre au sérieux » (p. 185)

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1297 ■ 08/06/2021