Les entreprises humanistes

LECOMTE Jacques, Ed. Les Arènes, 2016, 527 p.

Et si l’être humain n’était pas fondamentalement et uniquement égoïste et que la maximalisation des profits n’était pas le seul objectif possible pour les entreprises ? Jacques Lecomte ne nous entraîne pas dans le monde des bisounours. Il rejette avec beaucoup de vigueur l’instrumentalisation utilitariste et productiviste consistant à tenter de rendre les salariés heureux pour qu’ils soient plus rentables. S’appuyant sur de solides études scientifiques et sur de nombreux exemples de terrain plus surprenants les uns que les autres, il nous démontre que non seulement il est possible de trouver du sens et du bonheur dans son travail, mais que les entreprises où il fait bon vivre existent bel et bien et sont tout à fait compétitives. Reprenons par le début. Si les loisirs procurent de la joie, de la détente et des sensations fortes, seule la conduite d’un travail auquel l’on croit procure une haute satisfaction. La raison ? L’enjeu constitué par la création d’une œuvre à laquelle on contribue fortement. La valorisation et la reconnaissance que l’on en retire produisent une motivation intrinsèque infiniment plus puissante que toute stimulation extrinsèque. C’est pourquoi, par exemple, des avocats sondés aux USA ont expliqué être bien moins satisfaits de leur travail que des professionnel en protection de l’enfance. Et ce, malgré les 148.000 $ annuels qu’ils percevaient, contre 23.500 $ pour les seconds, soit 6,5 fois moins ! Mais, l’altruisme comme facteur principal de bonheur au travail n’a aucune raison de ne concerner uniquement que les salariés. Il imprègne potentiellement tout autant des entrepreneurs soucieux des êtres humains au travail et de leurs relations. Et lorsque ceux-ci choisissent de s’appuyer sur la coopération, plutôt que la compétition, ce n’est part par souci d’atteindre une meilleure performance (pourtant démontrée), mais pour la satisfaction que procurent le travail d’équipe, la confiance entre collaborateurs et le désir collectif d’améliorer l’efficacité de l’organisation. L’économie contemporaine nous a habitués à l’utilisation de la main d’œuvre comme variable d’ajustement du taux de profit. Se déploie à bas bruit une autre manière de faire fonctionner l’entreprise fondée sur l’intérêt de l’activité et la qualité des relations humaines. Jacques Lecomte témoigne tout autant combien la persuasion faisant appel au sens moral ou civique est bien plus efficace que la menace de sanction. Si bien des entrepreneurs n’en ont cure, d’autres y sont sensibles. Il en va de même pour la gestion exemplaire de certaines situations de pollution à grande échelle ayant été solutionnées par un dialogue ouvert, transparent et honnête. La psychologie positive n’envisage pas le monde à partir d’une vision idyllique ou naïve. Elle démontre qu’à côté du cynisme, de la rapacité et de l’égoïsme existent aussi l’éthique, l’humanisme et le sens de la justice.

 

Jacques TrémintinLIEN SOCIAL ■ n°1194 ■ 27/10/2016