La fin du travail
Jérémy RIFKIN, La découverte, 1996, 435 p.
L’ouvrage de Jérémy Rifkin peut être lu d’une façon à la fois irritante et obsédante.
Irritante en tout premier lieu car il se présente sous la forme d’une accumulation de faits et d’une compilation d’éléments auxquels il manque peut-être une brillante synthèse et/ou une démonstration théorique vraiment convaincante. Mais, ce sont justement aussi toutes ces données amoncelées systématiquement qui constituent un plaidoyer implacable et obsédant.
Dans le monde d’aujourd’hui, on compte plus de 800 millions d’êtres humains soit au chômage soit sous-employés. Les pertes d’emplois constatées dans le passé récent ne sont pas destinées à se résorber mais bien au contraire à s’accélérer. En effet, dans la majorité des pays industriels, 75% des salariés effectue des travaux ne demandant guère plus que de simples gestes répétitifs susceptibles d’être relayés par des outillages automatiques, des robots et des ordinateurs. Une étude a pu prévoir que dans les 30 prochaines années, 2% de la main-d’oeuvre actuelle suffira à produire la totalité des marchandises nécessaires à la demande totale. Ce mouvement porte un nom: le reengineering. C’est massivement que les entreprises y ont recours, ce afin d’accroître au maximum leurs profits.
Dans l’agriculture tout d’abord: ainsi par exemple, en 1949, 6% du coton du sud des USA était récolté par des moyens mécaniques, ce pourcentage a atteint 100% en 1972. Le génie génétique et l’agriculture moléculaire vont encore accentuer la tendance.
Dans l’industrie ensuite: en 15 ans, 1 million d’emplois ont été perdus dans les pays de l’OCDE dans la production d’acier. Général Motors a annoncé en 1993 son intention de supprimer dans les prochaines années 90.000 emplois et Mercedez Benz 45.000. Origine de cette décision: l’amélioration radicale des conditions de production. En 1925, 588.000 ouvriers étaient nécessaires pour extraire 520 millions de tonnes de charbon. En 1982, moins de 208.000 suffisaient à en produire plus de 774 millions !
Mais, c’est aussi le cas dans le tertiaire. Aux USA, l’automation a réduit le personnel des banques de 37% entre 1983 et 1993. Une nouvelle diminution de 20% est prévue d’ici à l’an 2.000. Depuis 1989, le commerce de gros a perdu 250.000 emplois et le commerce de détail 411.000.
Cette révolution de la haute technologie peut provoquer une amélioration des conditions de vie et de travail de millions de salariés mais aussi mener à un chômage grandissant et à une crise planétaire.
Pour l’heure, les formidables progrès de la productivité n’ont plutôt servi qu’à creuser le fossé entre les plus pauvres et les plus riches. Si 80% des salariés américains ont vu leur salaire baisser de 4,9% ces dernières années, les dirigeants d’entreprise ont vu le leur progresser de 220% !
Jeremy Rifkin, après avoir apporté de multiples détails sur ce mouvement historique essaie d’envisager les solutions pour en sortir. On ne peut compter sur un reclassement dans les nouveaux secteurs d’activité (informaticiens, ingénieurs, animateurs, ...). D’une part, il faudrait trouver 1 milliard d’emplois pour que dans les 10 prochaines années, le marché du travail absorbe les nouveaux venus. Ensuite, une statistique indique que seulement 20% des travailleurs recyclés retrouvent du travail. Non, les orientations de l’auteur vont bien plutôt vers la réduction du temps de travail ainsi que le développement de ce qu’il nomme le « tiers-secteur » en l’occurrence l’économie sociale qui ne privilégie pas le profit, mais l’épanouissement humain.
Cette longue démonstration richement documentée constitue une contribution essentielle au débat sur la profonde mutation qui touche notre société.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°390 ■ 20/03/1997