Vers un nouveau contrat social

Guy Roustang, Jean-Louis Laville, Bernard Eme, Daniel Mothé, Bernard Perret, Editions Desclée de Brouwer, 1996, 186 p.

Beaucoup plus intéressant, cet ouvrage qui pose des questions qui vont bien au-delà de l’horizon bien trop souvent borné des économistes traditionnels.

Le choix de départ est clair. Si le marché s’impose à nous comme un vecteur incontournable, laisser sa logique tentaculaire s’imposer librement représente un potentiel extraordinairement destructeur pour l’homme et la nature.

La période de fort essor qui s’est terminée dans les années 70 a vu une importante progression du statut salarial et des garanties de l’Etat. Les « trente glorieuses » auront connu de plus, un vaste mouvement d’émancipation individuelle. Et puis, la société industrielle est entrée en crise: une société de rentiers est venue remplacer la société de producteurs.

Sur la base de ces constats les auteurs se livrent à toute une série de réflexions qui sont autant de virages à 180°.

L’économie mondiale n’est mesurée depuis des années qu’à l’aulne des échanges marchands. Or, il existe deux autres branches très dynamiques et à l’importance non-négligeable. Il s’agit tout d’abord du secteur non-marchand représenté par exemple par le service public et le secteur non-monétaire comportant des formes tels le troc, l’échange et l’économie domestique (bricolage, jardinage, ...). Ces  trois domaines doivent s’articuler dans de plus justes proportions. Dès lors,  s’il est indiscutable que la mondialisation impose une logique de rentabilité dans la zone concurrentielle, il serait tout à fait possible de soumettre d’autres parties de l’activité à des critères relevant de l’équilibre humain et naturel. Pendant des années, on a affirmé que le moteur de l’économie résidait dans les besoins toujours nouveaux que l’homme cherche à assouvir. C’est là confondre besoins et désirs. Les premiers s’éteignent avec leur satisfaction, les seconds correspondent à un manque qui ne cesse vraiment jamais. Qui plus est, qui dit besoins parle le plus souvent d’un niveau de vie alors même que ce qui importe, c’est bien le mode de vie. Des facteurs tels la qualité du travail, l’environnement social, culturel et naturel, la maîtrise du temps et de l’espace sont aussi importants sinon plus que le nombre de télévisions ou de voitures par foyer. 1% de croissance en plus est profitable à la consommation, au chiffre d’affaire et aux cotisations sociales mais pas forcément au bien-être s’il a été obtenu par un supplément de fatigue, de stress et une intensification des cadences. Les progrès à l’avenir ne viendront pas tant d’une augmentation des revenus du travail que d’une autre organisation de la vie sociale. Ce sont les rapports entre les hommes qui doivent devenir l’essentiel.

Les politiques de l’emploi qui se sont succédées depuis 15 ans tant à gauche qu’à droite ont fait passer les emplois subventionnés de 619.000 en 1980 à 2.400.000 en 1994. Les entreprises en ont bien profité sous forme d’effet d’aubaine (elles devaient embaucher de toute façon et ont utilisé les offres ainsi faites) ou d’effet de substitution (quand ce sont les jeunes qui sont primés, on emploie des jeunes, quand ce sont des chômeurs de longue durée, ce sont eux qu’on embauche).  Les auteurs se prononcent pour un partage du travail négocié localement avec toutefois compensation intégrale pour les salaires les plus bas. Ils font en outre apparaître les pratiques solidaristes qui émergent et montrent la voie à suivre à la base en attendant de les faire advenir au sommet.

 

Jacques Trémintin - LIEN SOCIAL ■ n°353 ■ 16/05/1996