Chroniques des “petits riens” - Des enfants, un juge, un tribunal

Marie-Anne Baulon, Plon, 150 p. 2001


Plus que tout autre magistrat, les juges des enfants ont pris l’habitude de proposer des récits inspirés de leur expérience. Mais, l’ouvrage de Marie-Anne Baulon s’impose tout particulièrement par l’émotion et l’humanité qu’il dégage. Si une lecture devait être conseillée pour convaincre d’un engagement dans le secteur de l’enfance en danger, c’est bien ce livre qu’il faudrait proposer. L’auteur y fait passer une force et une intensité tout à fait remarquables. Toute une série de destins s’égrènent au fil des pages : celui de Sonia, l’enfant-chien élevé au sein d’une meute, de Kevin l’adolescent meurtrier de Martial dont il apprendra en pleine cour d’assise qu’il était son frère, celui de Laure, orpheline d’un père dont le décès doit être tenu secret ou de Véra, victime d’une mère folle ou encore de Julien, l’enfant du placard. Mais, Marie-Anne Baulon ne se contente pas de décrire le sort terrible réservé à ces enfants et la meurtrissure de leur famille, elle montre aussi les multiples facettes que peut prendre l’action d’un juge des enfants. « La connaissance du droit ne suffit pas. Il faut à l’évidence certaines qualités humaines » (p.147) Patience, calme et humour sont les premières retenues. Puis, il y a cette empathie  que nul éducateur ne viendra contredire : « être libre et mobile, savoir changer de registre, cela consiste aussi à être chaleureux, à serrer les mains, à embrasser les joues des petits, à toucher un bras, une épaule, pour signifier un soutien, à s’asseoir par terre pour jouer aux petites voitures ou aux poupées, s’il apparaît nécessaire de le faire pour communiquer, sans jamais se sentir invalidé » (p.145). Et de rapporter ces audiences surréalistes où le jeune lui tourne le dos et cette autre où une adolescente finit par lui montrer ses fesses. Plutôt que de jouer à l’autorité outragée,  elle préfèrera opter pour la carte du dialogue qui s’avèrera finalement payante. Sans oublier sa décision de recevoir cet adolescent tous les deux jours pour compenser l’impossibilité d’une prise en charge éducative avant deux mois et demi. Les uns pourront déplorer qu’un magistrat joue au psy ou à l’éducateur plutôt que de s’en tenir à son rôle de juge. Les autres y verront la marque d’une mobilisation et d’un dévouement qui porte parfois ses fruits : Nordine est là pour en témoigner : « moi, j’y croyais pas, j’pensais que j’étais trop nul. Heureusement que vous y avez cru pour deux » affirma-t-il à sa juge après avoir réussi à s’en sortir. Ce juge des enfants atypique n’hésite pas non plus à dénoncer  certaines dérives maltraitantes dont se rendent parfois coupables les institutions telles la police, l’éducation nationale  (« le collège est une terrible machine à broyer ») ou même l’aide sociale à l’enfance (quand celle-ci dénie à ses familles d’accueil une attitude qu’elle juge par trop affective). Enfin, nous ne bouderons pas notre plaisir en citant l’auteur dans le texte : « je me fais souvent la réflexion que nos petits délinquants sont, dans le fond, bien gentils et bien mignons. Certaines de leurs histoires vécues sont des coups à vous donner envie de devenir terroriste et de mettre des bombes » (p.128)

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°572 ■ 12/04/2001