Pauvretés en prison

Anne-Marie MARCHETTI, érès, 1997, 222 p.

La société a toujours distingué entre les bons pauvres (ceux qui se trouvent dans cet état à leur corps défendant comme les malades et les vieillards) et les mauvais pauvres (les individus valides coupables de ne pas respecter les normes dominantes). La clientèle des prisons a toujours fait partie de cette seconde catégorie. Cela explique que si aujourd’hui, on ne meurt plus de faim ni de froid dans les geôles, la dépense d’argent pour améliorer les conditions de détention, est toujours de trop pour l’opinion publique. Depuis le début du XIX ème siècle, la prison est devenue la peine-étalon qui s’applique aux classes populaires. De fait, l’institution perpétue et aggrave l’état de pauvreté initiale. L’administration pénitentiaire doit fournir à chaque détenu les moyens d’existence. Il arrive parfois que la trousse de l’indigent (savon et brosse à dent) ne soit même pas disponible. Si la personne incarcérée souhaite améliorer son ordinaire, elle peut avoir accès à des biens de consommation par l’intermédiaire de la “ cantine ”. Les prix qui y sont pratiqués sont en général le double de ce que l’on trouve à l’extérieur. Pour cantiner, le détenu ne peut compter que sur ses propres ressources. Celles-ci peuvent provenir de mandats qui lui sont adressés de l’extérieur ou encore du travail ou des formations rémunérés. Mais les propositions qui sont faites en la matière, si elles sont inégales selon les établissements, sont la plupart du temps rares et en tout cas intermittentes. Cette situation favorise le développement d’une économie clandestine basée sur le trafic, le racket et la prostitution.

Mais la pauvreté ne se limite pas au seul domaine consumériste. Elle se manifeste tout autant dans les ruptures familiales (la conjointe divorçant afin de trouver une autre source de revenus), que dans les permissions et libérations conditionnelles (qui sont d’autant moins accordées que le détenu ne propose aucune adresse fiable à l’extérieur) ou encore dans la qualité de la défense (réduite à un avocat commis d’office s’il n’y  a pas de possibilité de payer). On peut aussi parler de la contrainte par corps qui intervient à l’issue de la peine, quand le prisonnier n’a pas les moyens de régler ses dettes. Quant aux transferts d’un établissement  à l’autre, si le taulard –informé toujours au dernier moment- ne peut régler les frais de transport, il devra faire son deuil des affaires qu’il n’aura pas pu emporter avec lui. La réduction de la personnalité du détenu condamné à la simple situation de reclus est contradictoire à la mission de réinsertion qui est dévolue à l’administration pénitentiaire, elle l’est encore plus quand on l’applique à la situation de préventive dans laquelle la présomption d’innocence est sensée prédominer.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°450 ■ 16/07/1998