Les prisons de la honte

Michel NAUSSIAT, Editions Desclée De Brouwer, 1998, 142 p.

Après 20 ans passés derrière les barreaux, Michel Naussiat a craqué. Son seul crime est d’avoir exercé le ministère du culte auprès de centaines de taulards qui se sont succédés dans ce cul-de-basse-fosse que constitue la maison d’arrêt du Mans. Mais l’aumônier ne se retire pas sur la pointe des pieds. Il a accompagné sa démission d’une lettre ouverte au ministre de la Justice. Son coup d’éclat paraît le 15 juillet 1997 à la une de Ouest-France. Le résultat ne se fait pas attendre. La ministre le reçoit le 25 août. Elisabeth Guigou ne lui cache pas avoir été choquée par la violence de ses propos. “ Regardez, Madame, les magnifiques boiseries qui nous entourent. Oui, il n’est pas facile, au milieu de ces splendeurs, d’imaginer ce monde que j’ai côtoyé pendant des années ” lui répond-il. C’est en 1797 que l’ancien couvent de la Visitation est transformé en prison. Peu de travaux sont venus modifier les conditions de détention depuis cette date. Il faudra attendre plus de deux siècles (soit en 1979) pour que les premiers aménagements soient engagés : modification du sol de la cour de promenade jusqu’alors en terre battue, construction de cellules supplémentaires. Quant au projet de nouvelle maison d’arrêt programmé en 1980, on l’attend toujours. L’établissement du Mans conçu pour 56 places de détention et 12 places de semi-liberté accueille en permanence 160 détenus et plus. Chaque cellule de 9 m² reçoit 4 prisonniers. Les jeunes primaires croupissent pendant des mois en compagnie de vieux routards de la délinquance et des mœurs. Dans sa lettre à la ministre, Michel Naussiat la met au défi : “ il est un test que je vous invite à faire, Madame : rentrer le matin à 7 heure dans une cellule. Vous vous heurterez à un mur, mur de fumée, mur d’odeur, mur de misère humaine. C’est éprouvant … ” (p.30) Cette expérience devrait être proposée aussi aux citoyens et notamment aux jurés qui s’imaginent encore trop souvent l’existence de prison 3 étoiles. S’apitoyer sur le sort des prévenus incarcérés, n’est-ce pas oublier à peu de frais les victimes ? A force de ne pas traiter d’une manière simplement humaine des détenus, c’est les rabaisser au rang de victime. Le cri de révolte du père Naussiat est simple et clair : quand la privation de liberté cessera-t-elle d’être synonyme de conditions de vie sordides ?

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°450 ■ 16/07/1998