Histoire du personnel des prisons françaises du XVIIIème siècle à nos jours

Christian Carlier, Les éditions de l’Atelier, 1997, 261 p.

La prison est devenue à notre époque la pénalité majeure à laquelle peut être condamné tout délinquant. Cela n’a pas toujours été le cas. Ainsi, l’ordonnance criminelle de 1670 énumère-t-elle bien l’amende, les châtiments corporel ou infamant et les deux mesures les plus décernées en matière criminelle (le bannissement et les galères), mais d’emprisonnement, point. Pendant très longtemps l’enfermement intervenait comme transition avant la mort, l’exil ou un transfert. Les nombreuses geôles sont alors gérés par des tenanciers -les concierges- qui tirent bénéfice de leurs prisonniers: frais de greffe, bénéfice de la cantine et fourniture de chambre et de repas aux riches détenus. La prison, ce n’est pas alors tant la machine à broyer les corps et torturer les têtes qu’elle deviendra ultérieurement, mais une pompe à finances. D’ailleurs, les prix des services devaient être affichés après avoir été approuvés et paraphés par les magistrats chargés du contrôle de l’établissement. Si la gestion de l’incarcération est laissée à l’appréciation des geôliers, les autorités judiciaires ont l’obligation de la visiter régulièrement et d’interroger les prisonniers sur leur sort hors la présence du concierge. La révolution pose le principe d’une répartition qui ne se réalisera que bien plus tard entre la maison d’arrêt qui reçoit les prévenus et les condamnés de petite peine et les maisons correctionnelles où sont placées les longues peines. Pour l’heure, la répartition se fait encore entre les riches qui vont dans les prisons d’Etat et les pauvres qui se retrouvent dans les hôpitaux généraux. Au cours du XVIII ème siècle, les ordres religieux réutilisent des monastères désaffectés pour ouvrir des établissements de peine. C’est la période où la profession de garde est largement occupée par des « frères ». Tout au long du siècle suivant, le métier de surveillant intègre la fonction publique: le statut adopté en 1869 en généralise le principe. Au début de la 3ème République une commission d’enquête parlementaire aboutit à un constat accablant : le personnel pénitentiaire est incapable de garder en bonne santé physique et morale des détenus qui sortiraient améliorés de l’institution-prison. Mais les propositions avancées (amélioration du recrutement et de la formation, ouverture de la prison sur l’extérieur...) resteront lettre morte. Au début du XXème siècle, c’est le syndicalisme qui prend d’abord la forme associative, étant donné l’exclusion jusqu’en 1924 des fonctionnaires du droit de se syndiquer, qui va faire bouger quelque peu la grande maison. Les gardiens revendiquent de meilleurs traitements, des horaires décents (entre 52 et 73 heures par semaine en 1920), ainsi que la fin de l’arbitraire de la hiérarchie « être surpris à causer à un collègue, s’accouder à une rampe, s’adosser à un mur, s’asseoir le temps seul d’être vu, cela suffit à vous faire mettre aux arrêts » (p.135). Mais ce que réclame le personnel pénitentiaire, c’est bien avant tout le respect de leur dignité tant ils se sentent méprisés, tant par les prisonniers que par leur direction ou la société civile. Pendant l’occupation, famine et maladie ne tardent pas à s’abattre sur les prisons qui, en quelques années triplent le nombre de leurs pensionnaires. Le renouvellement des directions de l’Administration Pénitentiaire où entrent en masse des magistrats dans les années 30, la réforme qui survient à la libération contribueront beaucoup au renouveau de l’institution. Continuent néanmoins à s’opposer deux populations étonnamment proches quant à leur origine sociale respective et au traitement identique sur le plan de la situation et de la considération.

 

Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°422  ■ 11/12/1997