La Parole aux accusés
BLANCHARD Véronique et GARDET Mathias, Éd. Textuel, 2020, 190 p.
La légende dorée de l’avènement d’une justice des mineurs humaine et bienveillante, fondée sur l’ordonnance du 2 février 1945, s’assombrit à la lecture de ce récit de douze vies de filles et de garçons choisis parmi dix milles dossiers judicaires des années1950. On y découvre, avec effroi, le poids des stéréotypes de classe, sexistes et racistes, des jugements de valeur garants de l’ordre moral et des subjectivités imprégnées des préjugés propres cette époque. Avant de décider de les remettre à leur famille ou de les placer en centre de rééducation jusqu’à leurs 21 ans, le juge des enfants confiait alors les mineurs, accusés de comportement déviants, à des centres d’observation sur une période de trois mois. Des travailleurs sociaux, des psychologues et des psychiatres, ceux-là même qui nous ont précédés, dressaient un bilan de personnalité qu’ils adressaient ensuite au juge. Mokhtar, 15 ans, arrêté pour vol ? Comme tous les musulmans, il est « sournois, menteur et voleur » affirment les professionnels. Annie, 16 ans, arrêtée pour vagabondage ? Violée par son beau-père, le traumatisme vécu ne sera jamsis pris en compte dans une enquête sociale qui stigmatisera avant tout son comportement immoral : « habitude de paresse et de débauche ». Paul, 17 ans, placé en foyer depuis dix ans ? Il est considéré comme perdu : « restera inadapté. Irrécupérable à notre avis ». Quant à Renée, 16 ans, arrêtée à la sortie d’un café où elle avait rendez-vous avec son fiancé, elle sera enfermée dans une institution religieuse à régime sévère. C’est vrai qu’elle n’avait cessé de revendiquer son droit à vivre sa vie, comme elle l’entendait. La violence de ces expertises est compensée par les écrits des mineurs concernés, remplis de souffrance mais aussi d’humour, d’autodérision et de mélancolie présentés en fac-similé et par une magnifique iconographie. Un très bel album … pour ne jamais oublier.
Jacques Trémintin – LIEN SOCIAL ■ n°1285 ■ 08/12/2020