La fabrique des jugements. Comment sont déterminées les sanctions pénales

PHILIPPE Arnaud, Éd. La Découverte, 2022, 342 p.

« Mieux vaut être riche et bien portant que pauvre et malade » affirmait Francis Blanche. Face à une justice devant punir la même infraction, mieux vaut être une mère de famille bien insérée et primo délinquante qu’un jeune homme célibataire, marginal et récidiviste affirme Arnaud Philippe

La démonstration est limpide : s’appuyant sur des calculs statistiques, l’auteur (économiste de la criminalité) analyse de vastes bases de données individuelles pour vérifier les hypothèses qu’il pose.

Certes, à une application mathématique des sanctions qu’induisent les peines automatiques ou planchers, s’oppose cette individualisation se fondant sur les circonstances de l’infraction commise et les antécédents judiciaires de son auteur.

Effectivement, à une égalité formelle qui garantit le même quantum de la sanction pénale s’oppose une équité que permet le pouvoir d’appréciation du juge : suspendre le permis de conduire n’a pas les mêmes conséquences, quand on vit à la campagne ou dans une agglomération riche en transports en commun.

Reste à connaître l’influence de facteurs bien plus subjectifs : la pression de l’opinion publique ou du pouvoir politique, des discriminations ou des biais cognitifs.

Depuis quelques décennies, une frénésie sécuritaire et un populisme pénal se sont emparés des autorités et des parlementaires. Entre 2002 et 2012, pas moins de soixante-deux textes sont venus aggraver les peines, soit une modification tous les deux mois. Si le Code pénal recensait 10 100 infractions en 1994, il en comptait en 2014 13 350, soit 32 % de plus !

Le législateur peut bien augmenter le maximum de la peine encourue. Ce quantum ne devant pas dépasser le cumul de la peine de prison ferme et de la peine de sursis, les juges articulent à leur convenance l’une et l’autre. De fait, le montant moyen de la première n’a pas bougé depuis des années.

Le législateur peut bien porter à deux ans le niveau de la peine à partir duquel un aménagement est possible (contre un an auparavant). Il suffit que le juge fixe la sanction à 25 mois au lieu de 24, pour qu’elle ne puisse pas l’être.

Le législateur peut bien décider d’augmenter le parc carcéral. La proportion des incarcérations n’est pas plus élevée dans les départements où il y a plus de places de prison. Contrairement à l’idée reçue hausse, il n’y a donc pas d’appel d’air.

Si le statut d’étranger pèse sur la longueur de la peine et la décision d’un mandat de dépôt à l’audience, le genre féminin bénéficie d’une sanction proportionnellement moins sévère, conséquence du paternalisme judiciaire le percevant comme plus fragile et moins dangereux (sauf quand le tribunal est constitué d’une majorité de femmes).

Les personnes en détention préventive sont aussi plus sévèrement condamnées que si elles comparaissent libres. Jugées le jour de leur anniversaire, la peine est moins lourde.

La tentation de couvrir le temps de détention préventive par une peine de prison ferme se confirme là aussi par l’étude statistique des dossiers concernés.

Chaque nation conçoit ses propres modalités de constitution du corps des magistrats. Il s’avère qu’aucune version ne semble plus à même de garantir une meilleure justice !

Une magistrature recrutée sur concours ? Elle souffrira d’un formatage par trop homogène, peu représentatif de la société.

Une magistrature nommée par le pouvoir ? Elle sera soupçonnée de rester dépendante de l’autorité qui l’a désignée.

Une magistrature élue (comme aux USA) ? Elle sera influencée par le souci de plaire à ses électeurs et la préoccupation de se faire réélire.

Une magistrature citoyenne ? Elle sera soumise à la pression de l’opinion publique et des média otage de l’actualité récente, manquant du recul nécessaire.

Recevoir la formation adéquate permettant de connaître et d’apprendre à gérer sa subjectivité et les biais cognitifs dont tout un chacun est imprégné, constitue la moins mauvaise solution pour combattre les préjugés et discriminations en matière de justice.